La Turquie a annoncé mardi qu’elle entendait stopper la progression des forces du régime de Bachar al-Assad dans la province syrienne d’Idlib, où des centaines de milliers de civils fuient pour échapper aux combats.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a assuré dans une entrevue rapportée par l’Associated Press que son pays ne donnerait pas à la Syrie « l’occasion de conquérir plus de territoire » dans la province, la dernière zone sous contrôle de groupes rebelles et djihadistes opposés à Damas.

La mise en garde du chef d’État turc est survenue au lendemain d’un affrontement meurtrier inusité entre forces turques et syriennes présentes dans la zone.

Le ministère de la Défense turc a indiqué que huit soldats turcs avaient été tués par des tirs syriens lundi, entraînant une réplique musclée d’Ankara qui aurait coûté la vie à plus d’une dizaine de soldats syriens, selon un observatoire de la guerre syrienne.

La Russie, qui soutient activement le régime syrien, a assuré de son côté que les soldats turcs avaient été frappés accidentellement dans le cadre d’une offensive ciblant des « terroristes », le terme utilisé par le régime syrien pour désigner ses opposants armés.

Éviter une escalade

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, a indiqué mardi que la Turquie et la Syrie s’étaient affrontées, par groupes armés interposés, à de nombreuses reprises par le passé dans le cadre du conflit syrien.

Un affrontement direct tel que celui rapporté par le ministère de la Défense turc représenterait, s’il est avéré, une « montée de tension » importante dans la province, relève le spécialiste, qui s’attend à ce que la Russie intervienne pour temporiser et forcer une désescalade.

Le président russe, Vladimir Poutine, veut permettre à Bachar al-Assad de reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire syrien après des années de guerre civile, note M. Juneau.

Il cherchera cependant à temporiser pour éviter que la « situation n’explose complètement » avec Ankara.

Cette médiation pourrait mener à l’établissement d’une zone tampon à la frontière avec la Turquie, qui craint de se retrouver confrontée à un nouvel afflux massif de réfugiés provenant de la Syrie.

Henri Barkey, spécialiste de la Turquie rattaché à l’Université Lehigh, en Pennsylvanie, pense que le président Erdoğan a voulu envoyer un message musclé aux forces syriennes pour convaincre Damas de cesser son offensive, mais qu’il a mal évalué sa détermination.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme a indiqué mardi que les forces syriennes avaient continué dans la journée à progresser et à prendre le contrôle de nouveaux villages.

Ultimement, souligne M. Barkey, le régime turc ne peut se permettre de se mettre à dos la Russie, avec qui le président Erdoğan a développé des liens militaires et économiques étroits.

« Il doit soupeser très attentivement ses interventions face à Moscou », relève l’analyste, qui s’attend aussi à ce que la Russie s’efforce de calmer le jeu entre la Turquie et la Syrie.

Des civils en fuite

Ces tractations semblent peu susceptibles d’offrir un répit aux civils d’Idlib, qui se précipitent sur les routes pour échapper aux combats entre forces syriennes et opposants.

PHOTO AAREF WATAD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des civils d’Idlib se précipitent sur les routes pour échapper aux combats entre forces syriennes et opposants.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les déplacements forcés ont pris une importance sans précédent au cours des derniers jours et toucheraient plus d’un demi-million de personnes depuis le début de décembre.

L’organisation relève que plus d’une cinquantaine d’établissements de santé ont suspendu leurs activités depuis le début de l’année, forçant un recours accru à des cliniques mobiles susceptibles de suivre les mouvements de population.

Rick Brennan, directeur régional des urgences de l’OMS, a indiqué que les difficultés d’accès aux soins ainsi que le manque de médicaments et d’hygiène pouvaient déboucher rapidement sur des épidémies.

« Ce qui est le plus frappant à propos de l’escalade actuelle est que les besoins humanitaires énormes qui en découlent sont largement ignorés par les médias internationaux et les gouvernements », relève M. Brennan, qui réclame la fin de cette « crise dévastatrice ».