Des survivants ont abandonné jeudi le dernier réduit du groupe djihadiste État islamique (EI) en Syrie avant la bataille devant signer la fin du « califat », mais un haut commandant américain a averti que le combat contre cette organisation était « loin d'être fini ».

Claudiquant sur des béquilles, croulant sous de lourds baluchons, des survivants fuient la poche dans le village de Baghouz dans la province orientale de Deir Ezzor dans l'est de la Syrie, où des forces soutenues par les États-Unis attendent de repartir à l'offensive contre le dernier lambeau du « califat » proclamé par l'EI il y a près de cinq ans.

L'exode semble sans fin. Jour après jour, un flot d'hommes, de femmes et d'enfants, sort du bout de territoire encore tenu par les djihadistes. Certains sont originaires de Syrie et d'Irak, ou d'Europe et du Maghreb et d'autres pays étrangers.

Plus de 7000 personnes ont fui Baghouz depuis dimanche, a indiqué à l'AFP Adnane Afrine, un porte-parole des Forces démocratiques syriennes (FDS) engagées contre l'EI avec le soutien de la coalition internationale antidjihadistes conduite par les États-Unis.

Les opérations militaires ont dû être ralenties pour permettre les évacuations. Jeudi, les FDS ont tiré par intermittence sur le réduit d'où s'échappaient des panaches de fumée noire, a constaté un journaliste de l'AFP proche de la ligne de front.

Les FDS avaient ces derniers jours repris une portion du secteur djihadiste qui ne couvre plus que des champs et un campement informel de « tentes ».

Hagards, ceux qui sont sortis du réduit témoignent du chaos à leur arrivée aux positions contrôlées par les FDS.

« Les derniers jours étaient horribles. Des bombardements, des tirs, des tentes en feu », lâche une Finlandaise de 47 ans. « On creuse des tunnels sous terre et on les recouvre de draps, c'est ça les tentes », raconte Abou Mariam, 28 ans.

« Résolus et radicalisés »

Parmi ceux qui fuient, des hommes, mais aussi des enfants, arrivent juchés sur des béquilles. D'autres ont la tête ou les jambes bandées, ont constaté les équipes de l'AFP.

Pour identifier les djihadistes, qui seront arrêtés, les FDS et les forces de la coalition au sol les soumettent à des fouilles et des interrogatoires poussés.

Traînant des valises sur lesquelles sont juchés leurs enfants, croulant sous le poids de gros sacs à dos et baluchons, les femmes en niqab noir sont soumises à des procédures semblables. Les civils sont ensuite transportés dans des camps de déplacés plus au nord.

Près de 58 000 personnes, principalement des familles de djihadistes, ont quitté la poche djihadiste depuis décembre, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Parmi elles, plus de 6000 djihadistes ont été arrêtés.

Jamais les journalistes couvrant les grandes batailles contre l'EI n'ont pu assister de la sorte à l'arrestation et la reddition de djihadistes d'une organisation qui a semé la terreur avec des attentats meurtriers au Moyen-Orient, en Europe et dans d'autres régions du monde.

Une chute de Baghouz signerait la fin territoriale du « califat » de l'EI en Syrie, après la défaite du groupe ultraradical en Irak en 2017.

Mais le général Joseph Votel, chef des forces américaines au Moyen-Orient, a averti que le combat contre l'EI en Syrie « est loin d'être fini ».  

« Les observations récentes de nos hommes et femmes sur le terrain montrent que la population de l'EI évacuée des derniers vestiges du califat (à Baghouz) reste largement impénitente, résolue et radicalisée », a-t-il dit devant une commission du Congrès américain.

« Décision calculée »

« Ce à quoi nous assistons aujourd'hui, ce n'est pas la capitulation de l'EI en tant qu'organisation, c'est en fait une décision calculée (des djihadistes) pour préserver la sécurité de leurs familles et conserver leurs capacités en saisissant les chances qu'offrent les camps de déplacés ou en se cachant dans des zones reculées pour attendre le bon moment pour une résurgence », a-t-il ajouté.

« La réduction du califat physique est une réussite militaire monumentale, mais le combat contre l'EI et l'extrémisme violent est loin d'être fini et notre mission reste la même », a poursuivi le chef du commandement américain pour le Moyen-Orient (Centcom).

Selon des experts, l'EI a déjà entamé sa mue en organisation clandestine. Ses combattants sont disséminés dans le désert du centre de la Syrie et ses cellules dormantes mènent des attentats meurtriers dans les territoires perdus.

La bataille contre l'EI, cible de multiples offensives  ces deux dernières années, représente aujourd'hui le principal front de la guerre en Syrie qui a fait plus de 360 000 morts depuis 2011, au moment où le régime, soutenu par la Russie et l'Iran, a reconquis près des deux-tiers du pays.