Plus de 100 morts, probablement beaucoup plus. Des centaines de blessés. Et sans doute des milliers d’arrestations. Depuis une semaine, l’Iran est en ébullition, et le régime iranien y répond avec une grande brutalité.

Pourtant, ce mouvement de révolte populaire déclenché par une hausse soudaine du prix de l’essence a eu très peu d’écho à l’extérieur du pays. À peine quelques images, dont certaines très dures, où l’on voit les forces de l’ordre s’en prendre aux manifestants, ont circulé hors de l’Iran. 

La population iranienne est très jeune et hyper branchée. Il y a un peu moins de deux ans, quand le pays s’est soulevé à la suite d’une augmentation du prix du pain, les réseaux sociaux avaient été inondés d’images de manifestations dénonçant le régime des mollahs.

Comment expliquer que, cette fois, l’information traverse les frontières au compte-gouttes ? Par un black-out sans précédent que le gouvernement iranien a réussi à imposer sur l’internet depuis les toutes premières manifestations.

« Réussir à bloquer le réseau internet de tout un pays pendant cinq jours, c’est un geste sans précédent », affirme Farhad Souzanchi, directeur de la recherche pour ASL19, ONG vouée à la vérification des faits et aux droits numériques en Iran.

Établi à Toronto, M. Souzanchi explique que lors des mouvements de protestation précédents, le régime réussissait à ralentir le réseau internet, mais pas à le bloquer complètement. 

Selon Farhad Souzanchi, les dirigeants iraniens seraient carrément en train de tester un « réseau d’information national », parallèle à l’internet international, qui leur permettrait de mettre le couvercle sur le flux d’informations lorsqu’ils le jugent nécessaire.

« C’est un peu comme le réseau interne chinois, qui permet aux gens d’accéder uniquement à des sites et des applications autorisés », explique Farhad Souzanchi.

Selon lui, la télévision iranienne a diffusé des reportages ces derniers jours pour vanter les mérites de cet internet parallèle, en assurant à l’Iran une « autonomie numérique ». 

En réalité, cela permet au gouvernement d’empêcher les images de répression de sortir du pays, mais aussi de bloquer les échanges internes et de freiner la mobilisation, analyse M. Souzanchi.

Retour progressif

Le blocus sur l’internet n’a pas été total : les institutions iraniennes comme les banques ou les universités ont gardé accès à l’internet pendant les pires moments du black-out. Des informations ont aussi pu sortir grâce aux réseaux satellites, malgré les tentatives de brouillage.

Vendredi, les connexions internet ont été rétablies à environ 15 %. Mais, pendant cinq jours, l’Iran a été coupé du monde.

« C’était le silence radio ; ces cinq jours ont paru une éternité », dit Sahar Mofidi, Montréalaise d’origine iranienne.

Pour les Iraniens, l’internet, c’est un espace de liberté, une porte ouverte sur le monde qui permet de respirer.

Sahar Mofidi

Le black-out des derniers jours a fait réaliser aux Iraniens combien leur gouvernement pouvait les contrôler, relève Sahar Mofidi.

Le réseau internet national n’est pas encore tout à fait au point, nuance Vahid Yücesoy, spécialiste du Moyen-Orient affilié au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Il n’en affirme pas moins qu’une coupure de l’internet aussi importante, aussi longtemps, « c’est du jamais vu dans le monde contemporain ».

Les raisons de la colère

Étranglé par les sanctions américaines, le gouvernement iranien a décidé de réduire ses subventions au pétrole, ce qui a provoqué une hausse abrupte du prix de l’essence, mais aussi de celui du transport et des aliments. 

PHOTO EBRAHIM NOROOZI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Station-service incendiée par des manifestants à Téhéran

Pourtant, les Iraniens qui ont brandi des pancartes au cours des derniers jours ne ciblaient ni Washington ni le président Trump, fait valoir Vahid Yücesoy. Ils s’en prenaient avec une virulence sans précédent au régime lui-même et à ses têtes dirigeantes, dont l’ayatollah Ali Khamenei.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

L’ayatollah Ali Khamenei

« Les gens estiment que c’est l’irresponsabilité du régime qui les expose aux sanctions et les fait souffrir », dit Vahid Yücesoy.

Contrairement aux mouvements de protestations passés, la révolte actuelle cible le régime au complet, y compris son aile modérée. 

La société iranienne devient de plus en plus désabusée, les gens ont perdu espoir dans toute possibilité de réforme, ils sont en colère quand ils voient certains réformateurs vivre dans le luxe, alors qu’eux vivent dans la pauvreté.

Vahid Yücesoy

Devant ce vent de fronde qui s’est étendu à une centaine de villes partout au pays, le régime des mollahs a choisi l’option de la répression tous azimuts.

La police a tiré sur les manifestants pacifiques à balles réelles, souligne France-Isabelle Langlois, directrice de la section francophone du bureau canadien d’Amnistie internationale. Cette ONG a pu recenser 106 victimes, mais, selon Mme Langlois, le nombre de morts atteint probablement 200. 

« Au cours des dernières années, le régime iranien s’est beaucoup durci », dit Mme Langlois. Tous s’attendent à des vagues d’arrestations massives dans les jours qui viennent.

« Le régime a déjà annoncé que ceux qui ont violé l’ordre public seront punis avec une grande sévérité », souligne Farhad Souzanchi, selon qui des milliers de personnes auraient déjà atterri derrière les barreaux.

Le climat de terreur suffira-t-il pour éteindre la révolte ? Temporairement, peut-être, estime Vahid Yücesoy. « Le mouvement s’est peut-être essoufflé, mais il va revenir. »