Bien que le pire ait été évité avec la formation in extremis d'un gouvernement «d'union nationale» en Afghanistan, les risques de dérapage demeurent nombreux sur fond de guerre civile avec les talibans.

«Le pays n'est pas tombé dans le précipice, mais il devra tout de même faire face à de nombreuses crises», prévient en entrevue Vanda Felbab-Brown, une spécialiste du Brookings Institution, à Washington.

Le scrutin présidentiel a bien failli tourner à la violence lorsque le candidat donné perdant au second tour, Abdullah Abdullah, a accusé le nouveau président désigné du pays, Ashraf Ghani, d'avoir eu recours à des fraudes massives.

Sous forte pression américaine, les deux camps ont conclu un accord de partage de pouvoir prévoyant un «partenariat significatif et authentique» dans lequel M. Abdullah hérite d'un poste exécutif assimilable à celui de premier ministre.

Selon Mme Felbab-Brown, la conclusion de l'accord a permis d'éviter d'importants affrontements, voire un coup d'État, et doit être vue positivement. La capacité d'action du gouvernement résultant demeure cependant incertaine, notamment parce qu'il subsiste beaucoup de zones d'ombre sur la manière dont les décisions seront prises.

Les deux hommes forts pourront, dans le meilleur des cas, combiner les appuis dont ils disposent dans différentes communautés ethniques pour faire accepter les réformes nécessaires au pays.

Ils peuvent, à l'inverse, se mettre systématiquement des bâtons dans les roues, paralysant l'État, prévient Mme Felbab-Brown, qui s'attend à ce que le gouvernement frôle l'éclatement à plusieurs reprises.

L'International Crisis group (ICG) souligne, dans un nouveau rapport, que l'élection, malgré les tensions, risque de passer à l'histoire comme la passation de pouvoir «la plus pacifique» de l'histoire de l'Afghanistan.

Plusieurs défis pourraient cependant compliquer la suite des choses. L'organisation internationale prévient notamment que l'accord politique sera sérieusement mis à l'épreuve dans les prochains mois lors de l'attribution des postes clés de ministres et de gouverneurs.

Le nouveau gouvernement devra par ailleurs mettre les bouchées doubles pour convaincre les bailleurs de fonds internationaux de ne pas placer le pays sur une liste noire.

M. Ghani est sous forte pression d'agir rapidement pour contrer la corruption, mais il devra composer avec les réserves d'alliés embarrassants, comme le controversé seigneur de guerre Rachid Dostom, avec qui il a fait campagne. M. Abdallah a lui-même recruté dans son équipe plusieurs personnes qui profitaient largement du partage de pouvoir antérieur, prévient Mme Felbab-Brown.

Jabeur Fathally, qui enseigne à l'Université d'Ottawa, a bon espoir que le nouveau chef d'État saura faire bouger les choses sur ce plan. «Il n'est pas corrompu. C'est un technocrate qui est loin des magouilles politiques et politiciennes», relève l'analyste.

Transférer le pouvoir aux autorités locales

Le principal défi, pour le nouveau régime, demeure sécuritaire alors que les pays occidentaux s'apprêtent à retirer la majeure partie de leurs troupes du pays.

Le transfert progressif des pouvoirs aux forces afghanes s'est déjà traduit par une montée marquée du nombre de soldats et de policiers tués. Selon le Wall Street Journal, près de 4500 d'entre eux sont morts depuis le 1er janvier, ce qui en fait l'année la plus meurtrière pour les troupes afghanes depuis le début de l'offensive américaine contre les talibans il y a 13 ans.

Prenant le contrepied de son prédécesseur Hamid Karzaï, le nouveau président afghan a rapidement signé un accord permettant le maintien d'environ 12 000 soldats étrangers, en majorité américains, au-delà du 31 décembre 2014.

Mme Velbab-Brown note que les forces afghanes ont réussi, à un fort coût humain, à freiner les tentatives de progression des talibans au cours de la dernière année. Les insurgés, qui tirent profit de la production d'opium pour financer leurs opérations, conservent néanmoins le contrôle de vastes pans du pays.

«Si les forces afghanes font bonne figure, ça va redonner confiance aux Afghans, stimuler l'économie et peut-être même changer l'optique des talibans quant à la nécessité de négocier avec le pouvoir central. Une détérioration marquée de la sécurité jouerait en sens contraire», relève l'analyste de la Brookings Institution.

M. Fathally doute que ces négociations portent leurs fruits même si M. Ghani a déjà ouvert la porte à cette possibilité. «Dans l'idéologie talibane, les pourparlers ne peuvent servir qu'à une chose, c'est qu'ils récupèrent tout le territoire», dit-il.

L'Afghanistan en chiffres

31,8

Population du pays, en millions

55,3

Espérance de vie, en années

150 000

Nombre maximal de soldats étrangers présents simultanément en Afghanistan depuis le début de l'intervention américaine en 2001

12 500

Nombre de soldats étrangers qui doivent rester sur place après la fin de l'année