Le gouvernement irakien a dévoilé dimanche une batterie de mesures qui, si elles sont adoptées par le Parlement, permettront à d'anciens cadres du parti Baas du défunt régime de Saddam Hussein d'intégrer la fonction publique, répondant ainsi à une demande-clé des manifestants sunnites.

Les protestataires sunnites qui manifestent depuis plus de trois mois au nord et à l'ouest du pays jugent que les autorités s'en prennent de façon injustifiée et systématique aux anciens cadres du parti Baas, interdit depuis l'invasion de l'Irak il y a tout juste dix ans.

La proposition de loi adoptée par le gouvernement dimanche permettrait aux anciens chefs de groupes, ou «firqa», un échelon relativement élevé dans la hiérarchie baassiste, d'intégrer ou de réintégrer la fonction publique.

Les «Feddayin de Saddam», l'ancienne garde rapprochée d'Oudaï, fils redouté de l'ancien dictateur, pourraient, eux, bénéficier d'une retraite.

Enfin, seules les personnes placées sur liste noire d'ici la fin de l'année seraient bannies de la fonction publique.

«Le gouvernement a adopté aujourd'hui un important amendement à la loi sur la responsabilité et la justice», a estimé le vice-premier ministre Saleh Moutlak dans un communiqué.

La «loi sur la responsabilité et la justice» encadre le processus de débaassification et «a exclu nombre de gens talentueux et empêché le pays de (profiter) de leurs services», a-t-il souligné.

Les détracteurs de l'actuel arsenal législatif estiment qu'il est utilisé de façon beaucoup trop élastique et tend à être utilisé systématiquement contre la minorité sunnite, dont Saddam Hussein était issu.

L'Irak toujours dans la tourmente

Violences en pagaille, instabilité politique: dix ans après la chute de Bagdad et la fin du régime de Saddam Hussein, le 9 avril 2003, l'Irak n'est toujours pas parvenu à un modus vivendi acceptable par tous et s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise.

Aux yeux des Irakiens, le 9 avril reste bien plus chargé en émotions que le 20 mars, date de l'invasion dirigée par les États-Unis.

L'image qui cristallise la fin du règne du dictateur et du parti Baas est celle de soldats américains détruisant la statue de Saddam Hussein à l'aide d'un char muni d'un treuil sur la place Ferdaous (Paradis, en arabe) en plein centre de Bagdad.

L'armée de Saddam Hussein était alors démoralisée, désorganisée, et avait disparu face à la poussée des troupes américaines.

Mais l'immense joie que certains ont éprouvée ce jour-là ne doit pas masquer l'amertume ressentie par d'autres.

«À ce moment-là, j'ai compris que l'État irakien avait été renversé et que nous étions tombés entre les mains de l'occupant américain», raconte à l'AFP Dhafer Betti, directeur des relations publiques du mythique hôtel Palestine, qui donne sur la place Ferdaous.

Prises en tenaille entre les milices chiites et les insurgés sunnites, les troupes américaines ont payé un lourd tribut: selon le site spécialisé icasualties.org, 4486 soldats américains sont morts en Irak pendant les 8 ans d'occupation.

Mais ils ne sont pas les seuls: selon un rapport de l'ONG Iraq Body Count, 112 000 civils ont péri entre mars 2003 et mars 2013 en Irak.

Dans ce contexte, le gouvernement irakien ne compte commémorer mardi la chute de Bagdad. Tout comme le 20 mars, aucune cérémonie n'est prévue.

Cet anniversaire tombe en plus en pleine campagne électorale. Dans 12 des 18 provinces du pays, les électeurs sont appelés à renouveler leurs assemblées provinciales le 20 avril. Mais ce scrutin, le premier depuis le départ des derniers soldats américains en décembre 2011, se prépare dans le sang.

Douze candidats ont été tués depuis le début de l'année, selon des données officielles. Et samedi, un attentat a fait 25 morts et 60 blessés lors d'une réunion électorale à Baqouba, au nord de Bagdad.

Les violences aveugles continuent à accabler les Irakiens. Avec 271 personnes tuées et 906 blessées dans des attentats, le mois de mars a été le plus meurtrier depuis août 2012.

Pour John Drake, spécialiste de l'Irak au sein du groupe de consultants en risques AKE Group, la chute de Bagdad «est une date plus chargée en émotion que le début de l'invasion. Les insurgés sont donc tout à fait susceptibles de marquer cette date avec davantage d'actes violents».

Ces groupes et groupuscules armés affiliés à l'État islamique d'Irak (ISI), la branche locale d'Al-Qaïda, ont certes vu leur élan freiné à partir de 2008, mais ils continuent de viser les forces de sécurité et la communauté chiite, dans l'espoir de déstabiliser le gouvernement du chiite Nouri al-Maliki.

À ces violences s'ajoute une lutte politique houleuse entre M. Maliki et la minorité sunnite. Plusieurs dizaines de milliers de personnes défilent chaque vendredi dans les régions à majorité sunnite pour dénoncer leur «marginalisation» et réclamer la démission du premier ministre.

Évoquant des impératifs de sécurité, M. Maliki a décidé de reporter sine die les élections provinciales à Ninive (nord) et Al-Anbar (ouest), deux provinces où vivent d'importantes communautés sunnites.

Mais aux yeux des observateurs et des diplomates étrangers, la menace la plus sérieuse vient du conflit larvé que se livrent la région autonome du Kurdistan, dans le nord du pays, et le pouvoir central à Bagdad.

Les deux entités revendiquent une bande de territoire riche en hydrocarbures. Et Bagdad enrage de voir Erbil faire de plus en plus cavalier seul, signant des contrats avec des compagnies pétrolières étrangères en se passant de l'approbation du ministère du Pétrole.

PHOTO JEROME DELAY, AP

Le 9 avril 2003, en signe de victoire, les soldats américains faisaient tomber la statue de Saddam Hussein érigée en plein coeur de Bagdad.