Beyrouth, capitale du Liban, apparaît comme un refuge pour tous les homosexuels du monde arabe, parfois menacés de mort dans leurs pays. Mais les gais libanais ont encore du chemin à faire pour véritablement « sortir du placard», nous explique notre collaborateur.

Un no man's land dans une banlieue de Beyrouth, un samedi soir. L'immense hall impersonnel de l'Acid, la grande discothèque gaie de la capitale libanaise, se remplit au compte-gouttes. Des dizaines d'hommes s'agglutinent autour du bar sous le regard de la déesse Shiva.

 

Ils s'observent, se rapprochent, se touchent. Peu à peu, au son de la musique techno, les corps se déhanchent sur les podiums, s'enlacent. La fièvre va monter jusqu'au petit matin. Ensuite, chacun retournera chez soi et fera comme si de rien n'était. Personne n'en saura rien, ou presque.

Au Liban, mieux vaut ne pas crier sur les toits son homosexualité. Les «relations sexuelles contre nature» sont interdites par l'article 534 du code pénal libanais et sont passibles de six mois à un an de prison. La police, qui procédait il y a encore quelques années à des rafles dans les milieux gais, s'est cependant adoucie.

Les bars homosexuels se sont multipliés sans que les autorités réagissent. C'est là une des conséquences du travail de l'association Helem (Rêve), première association gaie du monde arabe, créée en 2004. Helem a su sensibiliser la société libanaise à la cause homosexuelle et organise régulièrement des rencontres avec le ministère de l'Intérieur, au cours desquelles des policiers travaillent avec des gais sur la prévention du HIV.

Un bouc émissaire

L'association a aussi contribué à changer le regard des médias. «Les journalistes considéraient les gais comme des pervers; nous avons répandu le terme d'homosexuel», explique Maha Rabbath, psychologue à Helem.

L'insulte de shaz (pervers) ou de louté (dérivé de Loth, qui a échappé à la destruction de Sodome), Ali l'entend pourtant régulièrement dans les couloirs de son université, dans le Liban-Sud. Son attitude, différente des autres, a fait de lui, pratiquement, un bouc émissaire.

«Je suis devenu une obsession pour certains, j'ai pensé plusieurs fois à changer d'université, mais je me suis dit que ce serait pareil ailleurs», raconte l'étudiant de 20 ans, qui se trouve de plus tiraillé par un conflit intérieur.

«Je suis croyant et je sais qu'avoir des relations avec des hommes est un péché puni par le Coran. Je dois arrêter d'avoir des relations homosexuelles un jour. C'est tellement confus dans mon esprit que je préfère ne plus y penser», explique le jeune homme, qui se dit bisexuel.

»Il va me tuer»

La religion joue un rôle considérable dans le regard que porte la société sur l'homosexualité. «Mon père est musulman chiite, et il croit que son fils doit se marier avec une femme chiite et avoir des enfants. S'il apprend que j'aime les hommes, il va soit me tuer, soit se pendre», raconte un autre Ali, 22 ans, étudiant à Beyrouth.

«J'ai osé en parler à ma mère au bout de plusieurs années, mais elle m'a dit que je n'avais simplement pas eu assez d'expériences, que l'homosexualité est anormale, un défaut de la nature.»

La plupart des gais libanais, tant qu'ils ne sont pas indépendants financièrement, doivent souvent vivre dans le mensonge. Fadi, jeune journaliste, mène une double vie: «Je dois toujours me cacher. Si je parle de mon homosexualité à mes parents, je risque d'être rejeté hors de chez moi ou traqué à vie.»

La pression sociale a même parfois des conséquences dévastatrices. «Mon copain, avec qui je sors depuis deux ans, va être marié de force, alors qu'il n'a jamais eu de rapport sexuel avec une femme. Il essaie de se convaincre qu'elles l'attirent. C'est un drame pour nous deux, raconte Fadi. Son frère, qui est aussi homosexuel, vient de se marier avec une femme qui est follement amoureuse de lui. Ce sont des vies gâchées», lâche-t-il, complètement désabusé.

 

Une première au pays

Une Libanaise a ouvert hier un compte bancaire pour ses enfants mineurs, une première dans un pays où jusqu'à présent seul le père était autorisé à le faire. «J'ai essayé il y a 10 ans d'ouvrir un compte pour mes deux garçons mais on me l'a refusé. C'est tellement injuste», a affirmé Barbara Batlouni, qui a ouvert le compte. L'Association des banques du Liban a décidé récemment de permettre aux mères d'ouvrir un compte et de désigner leurs enfants comme bénéficiaires à la majorité (18 ans), à la suite d'une campagne menée par l'Union des femmes progressistes. - AFP