Aujourd'hui, en passant aux urnes pour choisir un président, les Iraniens mettront fin à la campagne électorale la plus enlevante que la République islamique ait connue depuis des décennies. Les candidats ont rivalisé d'imagination pour séduire les électeurs. Une arme électorale s'est révélée plus redoutable que les autres: une épouse en tchador.

Quand l'un des candidats à la présidence iranienne s'est présenté avec sa femme lors d'un rassemblement politique à Tabriz le mois dernier, beaucoup d'Iraniens se sont frotté les yeux pour s'assurer qu'ils ne rêvaient pas. Jamais, depuis la révolution islamique de 1979, une épouse d'aspirant président n'avait été mise de l'avant.

Principal candidat réformiste à l'élection d'aujourd'hui, Mir Hossein Moussavi ne s'est pas contenté de présenter sa conjointe, Zahra Rahnavard, à la foule. Il lui a tenu la main et donné la parole.

Âgée de 64 ans, Mme Rahnavard est bien connue en Iran. Ancienne doyenne de l'Université féminine de Téhéran, elle est aussi une sculptrice accomplie. Les Iraniens de plus de 40 ans voient en elle un symbole de la révolution islamique: laïque dans les années 70, la détentrice d'un doctorat a choisi de son plein gré, pour des raisons politiques, de mettre le voile en 1979.

Bien qu'elle porte le tchador - le long voile noir qu'arborent habituellement les femmes les plus conservatrices en Iran -, Mme Rahnavard n'a pas la langue dans sa poche. «Éliminer la différence entre les hommes et les femmes est ma priorité absolue», s'est-elle exclamée lors d'un récent discours. Si son mari est élu président de l'Iran, elle promet qu'elle veillera personnellement à ce qu'il se batte pour permettre aux femmes de s'habiller comme bon leur semble et pour faire abolir les lois discriminatoires.

«Sa présence a tout changé dans la campagne présidentielle. Elle a permis à Mir Hossein Moussavi de devenir le principal rival de Mahmoud Ahmadinejad (le président sortant) et de reléguer l'autre candidat réformiste, Mehdi Karroubi, au second rang», note Roksana Bahramitash, professeure au programme d'études iraniennes à l'Université Concordia.

En avant, toutes!

Les adversaires de M. Moussavi n'ont pas tardé à réagir à l'apparition surprise de Mme Rahnavard. Lors d'un débat télévisé, Mahmoud Ahmadinejad a remis en cause le doctorat de l'épouse de M. Moussavi, un coup sous la ceinture qui a été tourné en ridicule par les réformistes.

Quelques jours plus tard, alors qu'il faisait campagne dans l'Iran rural, le politicien conservateur était accompagné de sa propre épouse. Au pouvoir depuis 2005, il ne l'avait jamais présentée en public.

L'autre candidat conservateur, Mohsen Rezaï, est embarqué dans la danse. Il a convoqué la presse lorsque sa femme s'est inscrite sur la liste électorale. Le réformiste Mehdi Karroubi, qui met de l'avant un agenda pro-femmes, a pour sa part confié la gestion de sa campagne dans la capitale iranienne à son épouse, Fatemeh, 63 ans, éditrice d'une revue féminine influente.

Place primordiale

Cette nouveauté dans la campagne électorale a attiré tantôt des louanges des médias, tantôt des critiques des religieux, mais elle a changé la donne en propulsant la question du droit des femmes au premier plan.

En Iran, plusieurs lois religieuses maintiennent les femmes dans des positions inférieures. En cas de divorce, elles ont peu de chance de conserver la garde des enfants ou d'obtenir une pension alimentaire. En cour, leur témoignage vaut la moitié de celui d'un homme.

L'espoir de changement à ce chapitre a attiré beaucoup de jeunes femmes iraniennes dans les rues cette semaine. Drapées de vert, elles ont scandé le nom de Mir Hossein Moussavi. Et à l'occasion, celui de sa femme. Aujourd'hui, elles voteront.