À l’approche d’un second hiver depuis le début de l’invasion russe, faut-il craindre un enlisement de la contre-offensive ukrainienne ? Comment réagira la population ? Et pourra-t-on tenir une élection présidentielle ?

Le jeudi 21 septembre, plusieurs attaques de missiles russes visant le réseau électrique ukrainien ont fait resurgir les craintes face au retour de l’hiver, du froid, des pannes de courant et du manque de chauffage. Mais les Ukrainiens s’organisent.

« Oui, les gens sont anxieux d’avoir à affronter les pannes de courant avec la température qui descend, indique le cinéaste Serhii Nazarov. Mais ils ne sont pas désespérés. Ils s’organisent. La vie continue. Les gens vont aussi au théâtre, au cinéma. Mais en raison des bombardements, ils évitent de former de gros groupes. »

Avec pour bagage un hiver complet passé sous les attaques et les privations, les Ukrainiens savent davantage comment se préparer et prendre leurs précautions, observe aussi le journaliste Christopher Miller du Financial Times.

« Les gens font le plein de batteries, de génératrices portatives, de bougies et d’eau, dit-il. Ils achètent davantage de conserves et de nourriture en pot dans l’éventualité où ils seraient incapables de cuisiner. Certains partent pour la campagne. »

Offrant un minimum de confort, les stations énergétiques portables EcoFlow semblent populaires dans le pays.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Serhii Nazarov devant un café placardé, à Odessa, en mars 2022

On a passé l’hiver 2022-2023 mieux qu’on s’y attendait. Nous avons tous eu peur que ce soit difficile, mais on a survécu. Ceux qui avaient acheté des stations électriques portables les ont conservées. De plus, nous avons maintenant une meilleure couverture antiaérienne.

Serhii Nazarov, cinéaste

Et sur le front, doit-on craindre l’arrivée du froid ? Selon Maria Popova, il faut mettre les choses en perspective. « Les Ukrainiens sont sur leur terrain. Ils le connaissent mieux que les Russes, dit la professeure de l’Université McGill. Elle vient de cosigner, avec Oxana Shevel, un ouvrage intitulé Russia and Ukraine – Entangled Histories Diverging States, qui arrivera au Canada au début de 2024. Aussi, le terrain dans le sud du pays est plus sec et moins sujet à se transformer en champ de boue. »

Élection ? Pas d’élection ?

Ce qui est plus nébuleux dans les mois à venir est la tenue, ou non, de l’élection présidentielle ukrainienne, normalement prévue le 31 mars 2024.

Selon Christopher Miller, plusieurs intéressés croient qu’un report est nécessaire pour des raisons de sécurité et de logistique. « Il sera difficile de sonder le peuple avec 20 % du territoire toujours sous occupation russe et où les gens ne pourraient voter, dit-il. Par ailleurs, une grande partie de la population a été déplacée et devra s’enregistrer de nouveau. Et dans le pays, on va craindre les attaques de missiles durant le vote. »

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Volodymyr Zelensky

Dans une perspective électorale, le président Volodymyr Zelensky obtiendra-t-il de nouveau la confiance populaire ?

Aussi longtemps qu’il [le président Volodomyr Zelensky] va se tenir à côté du peuple, il m’apparaît difficile de lui trouver un adversaire.

Serhii Nazarov

Dans l’ensemble, le président continue à avoir l’appui de la communauté internationale. La seule inconnue se trouve du côté du Congrès américain, où un petit groupe de républicains pourrait bloquer le renouvellement de l’aide financière.

« La façon de contourner le blocage est d’avoir un vote bipartisan et de mettre les frondeurs en minorité, rappelle Dominique Arel. Pour l’instant, ça ne s’est pas produit. Il n’y a pas eu de séance ultime du Congrès sur l’Ukraine. »

Sur le plan intérieur, c’est la corruption dans le gouvernement ukrainien qui pourrait le plus nuire à M. Zelensky. Rappelons qu’au début de septembre, le président a limogé son ministre de la Défense, Oleksii Reznikov, engoncé dans un scandale de corruption.

« Les sommes détournées devraient être consacrées soit à l’effort de guerre, soit aux services publics, rappelle Frédéric Mérand. Mais le degré de corruption est probablement encore plus élevé en Russie, avec les mêmes effets. »

Cela dit, M. Mérand estime que le gouvernement ukrainien a davantage à perdre des scandales de corruption.

« Ils [le gouvernement Zelensky] viennent de passer une année extraordinaire en termes de mobilisation et de solidarité nationales, dit-il. Maintenir un tel degré de mobilisation est très difficile. Il y a toujours des fissures qui commencent à apparaître, des conflits sur la marche à suivre, etc. Les questions comme la corruption sont sujettes à des divisions. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement ukrainien veuille sévir de manière très forte contre celle-ci, pour s’assurer que ça ne devienne pas un enjeu qui divise la société. »