(Paris) Les chancelleries occidentales en parlaient déjà ouvertement, mais l’inquiétude s’est récemment accrue : le groupe État islamique (EI) représente aujourd’hui une menace pour l’Europe de l’Ouest, avec en ligne de mire cet été l’Euro de football en Allemagne et les Jeux olympiques de Paris.

L’attentat de Moscou (137 morts) a brutalement replacé la menace djihadiste au cœur des priorités sécuritaires. Elles demeuraient certes dans les radars des services, mais avaient tendance à passer au second plan avec les guerres en Ukraine et à Gaza et les tensions géopolitiques aux quatre coins du globe.

Or, l’Allemagne organise cet été l’Euro de football et la France accueille les Jeux olympiques. Avec, dans les deux cas, des centaines de milliers de visiteurs de toutes nationalités, des dizaines de sites, des flux de passagers et d’athlètes tous azimuts. Des évènements infernaux à sécuriser qui constituent des cibles de choix pour les djihadistes.  

« Frapper les Jeux olympiques en France constituerait indiscutablement un rêve devenu réalité pour l’EI et je suis sûr qu’il y a déjà des projets », estime Tore Hamming, du Centre international pour l’étude de la radicalisation (ICSR).

Le nombre important de militants de l’EI-K en Turquie facilite la pénétration sur le territoire européen, souligne-t-il. Et chaque année, rien qu’en France, des dizaines de djihadistes condamnés pour leurs activités en Syrie sortent de prison après avoir purgé leur peine.

Profils malheureusement expérimentés

Début mars, Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure (DGSI) française, admettait devant la commission des lois du Sénat une préoccupation sur les JO.  

Elle décrivait une menace terroriste « à la hausse depuis maintenant un peu plus d’un an », par « des profils malheureusement expérimentés » avec une « logique de redynamisation de la mouvance endogène, caractérisée par des profils assez jeunes, souvent très actifs en ligne ».  

Car le contexte international souffle sur ces braises, en particulier le conflit à Gaza entre Israël et le mouvement islamiste palestinien Hamas, qui a considérablement polarisé les discours sur l’internet, poussant l’antisémitisme et la diabolisation de l’Occident au sein des sphères islamistes radicales.

Cette guerre « accroît la propagande islamiste d’Al-Qaïda, de l’État islamique, du Hamas, du Hezbollah », constate Hans-Jakob Schindler, directeur de l’ONG Counter Extremism Project (CEP). « Tous disent à leurs sympathisants : “tu dois faire quelque chose” ».

Des milliers d’individus radicalisés, surveillés ou non, organisés ou pas, peuvent sans difficulté majeure se saisir d’un couteau et attaquer une cible dans la rue bien avant que les forces de sécurité ne les interceptent. Acquérir quelques fusils d’assaut et tirer dans la foule ne nécessite pas beaucoup plus d’organisation.

La menace dépasse donc les seuls militants de l’EI-K, qui connaissent une forte croissance en Asie centrale et seraient entre 1500 et 6000, selon un rapport d’expert des Nations unies daté de janvier, entre 3000 et 4000 selon Tore Hamming.

« N’importe où, n’importe quand »

Aucun État, de fait, ne prétend à une sécurité absolue. L’attentat à Moscou est survenu alors que les États-Unis avaient prévenu Moscou des risques d’attentats sur son territoire, malgré des relations bilatérales glaciales.

Et si des questions se posent sur la capacité des services russes, l’attaque « souligne encore l’avantage du choc et de la surprise dont les terroristes disposent sur les États ennemis », souligne Bruce Hoffman, expert américain du djihadisme pour le Council on Foreign relations (CFR).

« Les terroristes peuvent globalement attaquer n’importe où, n’importe quand en utilisant toutes les armes et tactiques à leur disposition », ajoute-t-il. « Il est impossible pour les gouvernements, même préalablement prévenus, de défendre toutes les cibles ».

L’EI-K ne semble pas connaître de limites dans ses cibles. Elle est créditée, parmi bien d’autres, de l’attentat de Kerman (Iran) en janvier (90 morts), de l’attaque dans une église italienne catholique d’Istanbul (un mort) ou encore d’une opération sur un hôtel de Kaboul fréquenté par des Chinois fin 2022 (cinq blessés).

L’Europe ne saurait être épargnée, comme en témoigne depuis 2020 le démantèlement de plusieurs réseaux liés à l’EI-K, notamment en Allemagne et en Autriche.

« L’Europe occidentale est une cible et l’a été depuis quelques années, y compris pour l’EI-K, liée à un grand nombre de complots déjoués », souligne Tore Hamming, selon qui cette filiale « semble jouer un rôle très central dans les futures attaques » de l’organisation djihadiste.  

Mais Hans-Jakob Schindler veut croire dans l’efficacité de la lutte antidjihadiste au sein de l’Union européenne.

« Bien sûr que nous sommes dans le spectre des cibles, y compris les évènements comme l’Euro de football et les Jeux olympiques » admet-il. Mais « pour ces évènements de masse, il existe un mécanisme de coopération internationale et cela fonctionne plutôt bien ».