Sans aucune surprise, le président russe remporte une élection aux allures de couronnement. Notre correspondante était sur le terrain pour prendre le pouls d’un électorat peu enthousiaste.

(Moscou) Vladimir Poutine était sur le point, dimanche soir, de prolonger de six ans son règne de près d’un quart de siècle après le scrutin de trois jours, dont il est sorti en tête avec 88 % des voix. Sans surprise, mais non sans quelques difficultés, avec notamment quelques incidents dans des bureaux de vote et la mobilisation de l’opposition qui ont perturbé cette élection programmée.

Il était partout depuis des semaines. Presque sur chaque porte de l’immeuble, dans le métro, sur l’écran d’accueil de la banque en ligne russe Sberbank, le « V » tricolore, à côté duquel étaient rappelées les dates de l’élection présidentielle du 15 au 17 mars, accompagné d’un slogan simple : « Ensemble, on est plus forts, votez pour la Russie. » V comme… Vote, ou Victoire ? Vladimir ou le cinquième mandat qu’il brigue ? Tout cela ?

PHOTO NATALIA KOLESNIKOVA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme vote dans un bureau de scrutin de Moscou.

L’élection s’est déroulée au milieu d’attaques de missiles et de drones ukrainiens en Russie, qui ont tué plusieurs personnes. Le scrutin a aussi eu lieu dans un environnement étroitement contrôlé, où Poutine n’est confronté qu’à la concurrence de trois rivaux symboliques et où toute critique publique de lui ou de sa guerre en Ukraine est étouffée.

« Nous avons beaucoup de tâches concrètes et importantes à accomplir. Les résultats de l’élection témoignent de la confiance des citoyens du pays et de leur espoir que nous ferons tout ce qui est prévu », a déclaré Vladimir Poutine lors d’un discours télévisé à l’issue du vote.

Entre ardeur et désillusion

« Je souhaite uniquement Poutine comme président », affirmait Annia, dimanche, étonnée que quelqu’un puisse supposer que le président russe exerçant ne soit pas réélu. « Je le soutiens de toutes mes forces. Il dirige très bien le pays, personne ne nous embête », est convaincue cette femme de 42 ans au teint mat.

Elle est une des dernières votantes au collège du général Leluchenko, transformé en bureau de vote durant trois jours. La majorité des Russes qui ont la cinquantaine passée sont de son avis. Comme Natalia, 53 ans, qui se dit très satisfaite du maître du Kremlin. « Je souhaite la paix sur la Terre entière et seul Vladimir Poutine est capable de sauver le monde », est persuadée cette mère d’une adolescente de 17 ans.

Les Moscovites se sont succédé dimanche après-midi au compte-gouttes sans réel enthousiasme. « On n’attend rien du tout de cette élection » est la réponse la plus courante recueillie par La Presse à la sortie des bureaux de vote.

Car « les changements que je souhaite réellement dans mon pays sont actuellement pénalement punis par le Kremlin », explique Lilia, la vingtaine. Une périphrase pour éviter d’affirmer souhaiter la paix en Ukraine.

« Je suis venue juste gâcher le bulletin, pour être certaine qu’il ne soit pas utilisé pour augmenter le taux de vote de Poutine », explique Barbara, vêtue d’un manteau à la fourrure grise assorti au foulard enroulé coquettement autour de sa tête. « J’aurais aimé que nos élites soient plus dignes et plus pacifiques », raconte cette cheffe d’entreprise dans le secteur scientifico-industriel, sans vraiment y croire.

Pour certains Russes, « Navalny est notre président »

Cette quadragénaire est venue à la tombée de la nuit, bien après l’action « midi contre Poutine », dont elle ignorait tout. L’opposition fidèle à l’opposant russe Alexeï Navalny s’est mise d’accord pour venir collectivement le dimanche à midi pile pour démontrer que pas tout le monde soutient Poutine. « À midi, soudainement, une queue entière de jeunes s’est formée, alors que durant toute la matinée seulement quelques retraitées sont venues voter, soutenant publiquement Poutine », raconte Sahaiana Sannikova, observatrice électorale dans une petite ville à une heure de Moscou.

PHOTO MAXIM SHEMETOV, REUTERS

Les files étaient longues dans certains bureaux de vote moscovites.

Certains ont même amené leurs enfants. « Le petit de 4 ans était excité comme une puce dans ce lieu qui lui paraissait incroyable », se souvient la jeune femme de 18 ans, attendrie, devant la pédagogie du père, qui expliquait chaque étape du vote à son fils. « Il lui a même raconté pourquoi il vote Vladislav Davankov parmi les quatre candidats. »

Dans la pénombre de l’isoloir, les Russes peuvent enfin écrire tout ce qu’ils se retiennent de dire, habituellement. « Navalny est notre président », clament certains bulletins de vote, « Non à la guerre », « Poutine est un meurtrier ».

Pourtant, souvent la sécurité n’est que factice en Russie, et les parois transparentes de l’urne n’en font qu’un piètre bouclier. Dans le quartier de Ramenki à Moscou, un jeune homme a été arrêté, car son inscription « Poutine-assassin » fut aperçue.

En tout, 77 personnes ont été arrêtées lors de l’action « midi contre Poutine ». Polina, observatrice électorale au nord de Moscou, se souvient d’une situation électrique sur place. « Les membres de la commission électorale avaient extrêmement peur des attentats qu’organiserait, soi-disant, l’équipe de Navalny, relate la trentenaire. Ils cherchaient même des portes de secours pour s’enfuir. » En effet, les deux premiers jours du vote ont été perturbés par des attaques au cocktail Molotov et des incendies d’urnes.

En ligne, à l’abri de tous les regards

La jeune femme souligne n’avoir constaté aucune faute majeure durant le vote qui méritait un signalement. « Le plus important était de rester jusqu’aux décomptes, pour s’assurer qu’il est fait intègrement », explique Polina, qui avait la crainte d’être retirée, comme l’ont été de nombreux autres observateurs. « Alors, j’ai fermé les yeux sur les fautes minimes. » Comme cette femme indignée de ne pas pouvoir voter, car son vote a déjà été réalisé en ligne. Comme, également, les membres de la commission qui suggéraient de voter sur les terminaux de vote électronique. « Alors qu’en ligne, il n’y a aucun moyen d’empêcher la fraude », alerte Polina.

En place depuis les élections de 2021, le vote électronique a été fortement vanté en Russie en amont de la présidentielle. Des dessins animés enfantins ont été spécialement confectionnés pour persuader de la praticité de cette manière de voter. Des portables, des voitures et des billets de théâtre ont été promis aux plus chanceux des votants en ligne.

Une réelle motivation pour une partie des électeurs. « Je ne peux pas choisir l’avenir que je veux pour mon pays, mais au moins, je pourrais payer ma carte de métro », affirme cyniquement Marina, qui rêvait de la merveilleuse Russie promise autrefois par Navalny.

Avec l’Agence France-Presse

Forte mobilisation devant les ambassades russes

La mobilisation devant les ambassades de Russie en Europe a été forte dimanche, jour où l’opposition avait appelé à des rassemblements devant les bureaux de vote à la mémoire de l’opposant Alexeï Navalny. Sa veuve, Ioulia Navalnaïa, qui a promis de reprendre le flambeau de son mari mort en détention en Russie, avait appelé à aller aux urnes à midi dimanche pour lui rendre hommage, et à donner sa voix à n’importe quel candidat autre que Vladimir Poutine. Elle a fait la queue à Berlin, devant l’ambassade de Russie, puis a indiqué avoir écrit le nom de son mari sur son bulletin. À Belgrade, de nombreux opposants ont déroulé devant un bureau de vote une banderole affirmant : « Poutine n’est pas la Russie », sous les applaudissements de Russes venus glisser leurs bulletins dans l’urne. À La Haye, des milliers de personnes ont fait la queue sur plusieurs centaines de mètres devant l’ambassade de Russie, autour de laquelle un cordon de police était déployé, selon des médias néerlandais. « Nous voulons compliquer la tâche de Poutine », a affirmé Yuri, à Istanbul, où 400 mètres de file d’attente devant le consulat de Russie témoignaient de la volonté des exilés de dénoncer la mainmise du maître du Kremlin. À Washington, 600 personnes étaient présentes devant l’ambassade de Russie, où un opposant au président Poutine a été aspergé de gaz lacrymogène, provoquant une intervention policière.

« Ça arrive. »

S’exprimant pour la première fois au sujet de la mort de M. Navalny, le président russe, Vladimir Poutine, a déclaré : « Ça arrive. On ne peut rien y faire. C’est la vie. » Le discours du président russe était inhabituel dans la mesure où il a fait référence à plusieurs reprises à M. Navalny par son nom pour la première fois depuis des années. M. Poutine affirme avoir soutenu l’idée de libérer Alexeï Navalny dans le cadre d’un échange de prisonniers quelques jours seulement avant la mort de l’homme qui était son plus grand ennemi politique. Lors de son discours, il a plaidé, sans non plus fournir de preuves, que quelques jours avant la mort de M. Navalny, « certains collègues » lui avaient fait part de « l’idée d’échanger Navalny contre certaines personnes détenues dans des établissements pénitentiaires de pays occidentaux ». Il a confirmé avoir été en faveur de cette idée. Il a ajouté que sa seule condition était que M. Navalny ne revienne pas en Russie. Alexeï Navalny, l’opposant politique le plus connu de Russie, est mort le mois dernier à l’âge de 47 ans alors qu’il purgeait une peine de 19 ans de prison.