(Antakya) Des fragments de vie qui s’affaissent tristement sous les coups assénés par la pelleteuse pour faire tomber l’immeuble en ruines : un porte-serviette bien garni, des oreillers soigneusement emballés, une voiture d’enfant.

« Les salauds, les criminels », rage Alex, un communiste grec de 27 ans venu prêter main forte aux camarades turcs pour déblayer la ville d’Antakya, dans le sud de la Turquie, particulièrement touchée par le séisme du 6 février - près 40 000 morts au total de part et d’autre de la frontière syrienne toute proche.

Ouvrier du bâtiment dans son pays, Alex dénonce la médiocrité des constructions et les « capitalistes » qui, « pour faire de l’argent ont construit à bas coût » dans toute la Turquie.

Dans ce groupe de volontaires communistes, il invoque la « solidarité » des « pauvres » pour justifier sa présence en Turquie, malgré les relations tendues entre Ankara et Athènes.

Les deux pays, partenaires au sein de l’OTAN, se querellent régulièrement sur la gestion des migrants aux portes de l’Europe, le tracé des frontières maritimes et sur les gisements d’hydrocarbures en Méditerranée orientale.  

« Seuls les politiciens s’affrontent, pas les peuples. Les Turcs et les Grecs sont des frères », affirme Alex.

Les deux capitales ont fait taire leurs différends face à l’ampleur du désastre et la Grèce a dépéché de nombreux secours.

Avec la secousse d’une intensité redoutable (7,8) des milliers d’immeubles se sont écroulés vers 4 h du matin, saisissant leurs occupants en plein sommeil.  

Celui que fouillent le groupe d’Alex n’avait visiblement aucune chance de tenir le choc.

De l’immeuble de quatre étages ne subsiste qu’une montagne de débris, à l’exception de quelques pièces de vie encore visibles au sommet, qu’il faut raser pour pouvoir fouiller en dessous.  

« Désastre complet »

« Les tiges de métal qui traversent le béton datent des années 1960. Elles sont si fines et si espacées… L’acier est de mauvaise qualité, les briques et le béton trop fragiles », énumère le camarade Takis, 33 ans, qui travaille lui aussi dans la construction en Grèce.  

« C’est un désastre complet. »

Ozgur Yildiz, un bénévole turc, montre à l’AFP un éclat  de coquillage ancien incrusté dans un morceau de béton, puis une tige d’acier rouillée sortant des gravats, signe d’une « oxydation des structures », estime-t-il.

« Je suis triste parfois, mais je suis surtout tout le temps en colère contre le gouvernement, pas pour cet immeuble qui est vieux mais pour tous les neufs qui se sont écroulés », peste ce producteur de clips vidéos.

D’après le président turc Recep Tayyip Erdogan, 98 % des bâtiments détruits le 6 février datent d’avant 1999, quand de nouvelles normes de sécurité ont alors été imposées après un séisme.

Mais selon l’institut national de statistique, une part importante des édifices datait d’après 2001 -50 % à Antakya-ce qui dément les assertions du chef de l’État qui a pourtant bâti la croissance de la Turquie sur l’immobilier et les BTP.

Devant l’immeuble rendu aux gravats et à la poussière dont se dégage désormais une odeur douceâtre de putréfaction, un homme suit attentivement les opérations de recherche.  

Les six corps dégagés sont ceux de sa sœur, du mari de celle-ci et de leurs quatre enfants âgés de 4, 6, 10 et 14 ans. « Merci les frères grecs », glisse-t-il doucement.