Même sous une épaisse couche de neige, le cimetière des soldats russes tués pendant la guerre en Ukraine est inondé de couleurs. Les tombes sont recouvertes de couronnes de fleurs en plastique et, sur chaque monticule, des drapeaux représentant l’unité du soldat mort flottent au vent.

Par un récent samedi, une femme prénommée Natalia a pris une brosse et a soigneusement balayé les mottes de neige fraîche et collante des couronnes de son fils. Elle a enlevé les œillets rouges qu’elle avait apportés la semaine précédente, maintenant gelés, et les a remplacés par un petit arbre de Noël qu’elle a acheté à l’entrée du cimetière.

Natalia vient au moins une fois par semaine pour s’occuper de la tombe de son fils unique, qui a été tué dans les premiers jours de la guerre, après que son groupe de soldats a envahi l’Ukraine et tenté sans succès de sécuriser l’aérodrome d’Hostomel, près de Kyiv. Ce qui restait de son corps est arrivé à Riazan plusieurs semaines plus tard.

« Même quand je suis malade, je viens ici, parce que j’ai peur qu’il s’ennuie », a-t-elle déclaré au sujet de son fils, dont la dépouille est arrivée juste avant son 26e anniversaire. Elle a refusé de donner son nom de famille, craignant des représailles pour avoir parlé.

« Il fallait faire quelque chose »

De nombreux opposants occidentaux à la guerre de la Russie en Ukraine s’attendaient à ce que des mères comme Natalia deviennent l’épine dorsale d’une vague d’indignation contre le président Vladimir Poutine, et se transforment en une force politique s’opposant à lui. Mais 10 mois après le début du conflit, cela ne s’est pas produit à grande échelle, et certainement pas à Riazan, une ville de 500 000 habitants connue pour son unité de parachutistes d’élite.

Natalia a dit qu’elle pensait que l’invasion « aurait dû être mieux planifiée », afin de minimiser les pertes, mais elle n’a pas exprimé de colère envers les dirigeants russes. « Il fallait faire quelque chose », a-t-elle dit, en faisant référence à l’Ukraine.

Ce type de soutien continu a été un facteur crucial dans la capacité de Vladimir Poutine à éviter toute réaction intérieure significative à sa guerre, ce qui lui a permis de réaffirmer son engagement à poursuivre ses objectifs en Ukraine face à une série de revers.

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De nombreuses tombes de soldats récemment morts au combat remplissent le cimetière de Riazan.

Natalia était seule dans le cimetière lors de sa récente visite, mais si le nombre de soldats qui y sont enterrés est une indication, il y a beaucoup plus de mères en deuil comme elle. Il y avait au moins 20 rangées de trois tombes fraîches chacune.

Pourtant, selon de nombreux témoignages, Riazan, qui abrite deux bases militaires, envoie ses hommes à la guerre avec fierté, même si certains reviennent dans des sacs mortuaires.

La ville, située à environ 160 km au sud-est de Moscou, est particulièrement fière de ses parachutistes. Une sculpture gargantuesque de leur logo le long de la route principale célèbre la ville comme le « foyer du VDV », les initiales d’une unité d’élite de parachutistes dont le fils de Natalia était membre. Dans le centre de la ville se trouve une école pour les cadets de l’unité avec, à côté, un musée célébrant son histoire.

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Dans le centre de la ville se trouve une école pour les cadets de l’unité d’élite de parachutistes avec, à côté, un musée célébrant son histoire.

Un long couloir documente sa participation à diverses campagnes militaires et comprend déjà des objets de cette guerre.

Une mère fière

À 20 minutes en voiture du cimetière, vers le centre-ville, Marina N. Doronina a également exprimé son soutien à la guerre. Son fils Vadim, 27 ans, a été appelé sous les drapeaux quelques jours seulement après que Poutine eut annoncé, fin septembre, que la Russie allait mobiliser plusieurs centaines de milliers d’hommes.

Mère célibataire de deux autres enfants, dont l’un est gravement handicapé, Mme Doronina, aide-soignante à domicile, dépend de son fils aîné pour l’aide financière et le travail physique. Son toit « fuit comme une passoire » et il avait prévu de le réparer avant l’arrivée de l’hiver.

« Qui va réparer mon toit maintenant ? demande-t-elle. Il allait aussi réparer ma clôture à l’automne. »

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Marina N. Doronina, dont le fils est parti au combat, dit soutenir la guerre en Ukraine.

Mais elle a dit qu’elle n’était pas en colère qu’il ait été envoyé à la guerre. Elle ne s’oppose pas non plus à la mobilisation en général. Elle était plutôt en colère contre le « système », qui ne pouvait pas accorder un délai, voire une exception, à son fils.

Elle communique avec Vadim en Ukraine par la plateforme WhatsApp. Il envoie des vidéos de lui dans les tranchées en train de passer du temps avec ses camarades soldats. Elle se sent fière lorsqu’elle voit des photos de lui en tenue de camouflage, dit-elle.

« Cette situation doit être résolue d’une manière ou d’une autre », dit-elle, faisant écho à la vague affirmation de Natalia concernant l’Ukraine. Mais même si elle s’agace de la façon dont les autorités locales ont géré la mobilisation de son fils, elle exprime sa confiance en Vladimir Poutine.

Notre président est assez sage, et il fait toujours du bon travail.

Marina N. Doronina

Reprenant un thème commun aux programmes de propagande de la télévision d’État et à de nombreuses personnes ordinaires, elle a affirmé qu’elle pensait non seulement que « l’Occident » se battait en Ukraine, mais aussi qu’il subissait les conséquences de la guerre plus durement que la Russie.

« Tout cela va se régler, et bientôt, tout sera normal », a-t-elle ajouté.

Cible d'attaques

Pourtant, quelque chose de tout à fait hors du commun s’est déjà produit à Riazan, qui se trouve à seulement 480 km de la frontière avec l’Ukraine. Ses deux installations militaires ont fait de la ville la cible de l’une des frappes militaires ukrainiennes les plus profondes à l’intérieur du territoire russe depuis le début de la guerre.

Le 5 décembre, deux drones de fabrication soviétique sont tombés sur des bases à Riazan et près de la ville de Saratov, plus à l’est. À Riazan, le drone visait la base aérienne de Dyagilevo, un centre d’entraînement pour les forces de bombardement stratégique. La Russie a déclaré avoir intercepté le drone et l’avoir abattu, une affirmation qui n’a pas pu être confirmée, mais a reconnu que trois personnes avaient été tuées et cinq autres blessées dans l’attaque, qui a également endommagé un bombardier d’attaque supersonique Tupolev Tu-22 m.

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Une statue de Vladimir Lénine trône au centre-ville de Riazan.

Le ministère russe de la Défense a accusé l’Ukraine. L’Ukraine ne reconnaît pas publiquement les frappes à l’intérieur de la Russie, maintenant intentionnellement l’ambiguïté.

Il s’agit d’un rare exemple de frappe ukrainienne à l’intérieur du territoire russe. Non loin de la base, certains habitants ont essayé de paraître désinvoltes face à l’attaque du drone.

Au principal centre de transport du quartier de Dyagilevo – un arrêt de bus boueux situé en face d’un parc où des enfants jouent au-dessus de la statue d’un bombardier Tupolev Tu-16 –, Valentina Petrovna, 70 ans, a insisté sur le fait qu’il n’y avait « aucune raison d’avoir peur ».

Quelque chose avait-il changé dans sa vie au cours de l’année écoulée, qui a apporté des changements sismiques en Russie et dans le monde ? « Rien », a-t-elle insisté, même si elle a dit avoir de nombreux parents dans l’armée.

Nous attendons que nos garçons gagnent dès que possible.

Valentina Petrovna

Cependant, Alina, une étudiante en médecine de 19 ans, a admis avoir ressenti une certaine peur. Elle se tenait à l’arrêt de bus le 5 décembre lorsqu’elle a entendu l’explosion.

« Tout tremblait », dit-elle, et la peur que cela puisse se reproduire affectait son humeur de vacances.

Selon Aleksandr Yurov, spécialiste des technologies de l’internet, l’incident des drones a incité les habitants à prêter davantage attention à la guerre. « Les gens ont finalement commencé à s’inquiéter », a indiqué M. Yurov, 34 ans, qui est contre la guerre.

Il y a des raisons de penser que cela peut se reproduire : lundi, Moscou a déclaré avoir abattu un autre drone ukrainien au-dessus de la base d’Engels, près de Saratov, et que trois personnes avaient été tuées.

Plus unis

Quelque 200 familles ukrainiennes se sont installées à Riazan, selon Yelena N. Samsonkina, qui dirige une organisation caritative qui amasse des vêtements et des produits pour les familles réfugiées – et pour les troupes russes qui ont joué un rôle dans leur déplacement.

« Les gens sont devenus plus unis ici » pour soutenir l’effort de guerre, a assuré Mme Samsonkina au siège de son organisation.

« Les grands-mères tricotent des chaussettes et les enfants écrivent des lettres à l’école » pour les troupes, a-t-elle ajouté.

Elle a repoussé une question visant à savoir si l’armée était mal équipée, étant donné que les volontaires devaient collecter des thermos ou d’autres articles essentiels pour les soldats russes. L’armée a tout ce dont elle a besoin, a-t-elle dit, mais les volontaires peuvent se procurer certains articles plus rapidement que la bureaucratie militaire.

Mme Samsonkina a déclaré que son fils pourrait être mobilisé, ce qui inquiète sa fille. Mais il est prêt à se battre, dit-elle, et elle-même ne s’opposerait pas à ce qu’il soit appelé.

« Je suis heureuse d’avoir un fils comme ça, a-t-elle dit. Comment pourrais-je me sentir autrement ? Bien sûr, je suis nerveuse, je suis très inquiète. Mais je ne vais pas le dissuader de le faire. »

Elle a dit qu’elle soutenait complètement la guerre.

« Poutine a fait le premier pas, a-t-elle dit. S’il ne l’avait pas fait, qui sait où nous en serions aujourd’hui ? »

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.

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  • 70 %
    Une enquête réalisée ce mois-ci par le Levada Center, un institut de sondage indépendant, a montré que plus de 70 % des personnes interrogées en Russie soutiennent « certainement » ou « principalement » les activités de l’armée russe, tandis que 64 % pensent que le pays va dans la bonne direction.
    source : The New York Times