Le cri du cœur de la dirigeante de l’opposition biélorusse, en visite au pays

(Ottawa) La cheffe de l’opposition biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa, en exil depuis plus de deux ans en Lituanie, débarque au Canada en visite officielle avec dans sa valise un plaidoyer : oui, l’attention du monde est – avec raison – monopolisée par l’Ukraine, mais n’oubliez pas la Biélorussie.

La candidate à la présidentielle écrasée par Alexandre Loukachenko en août 2020 (dans un scrutin dont les pays occidentaux n’ont jamais reconnu la légitimité) rencontrera le premier ministre Justin Trudeau et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lors de son passage dans la capitale fédérale.

« Je vais demander au Canada de faire entendre sa voix et d’agir afin d’appuyer notre indépendance. Au moment où l’on se parle, l’existence même de la Biélorussie est en péril », a exposé la dissidente lors d’une table ronde qui réunissait quelques journalistes, lundi midi.

Il faut éviter que la Biélorussie soit avalée par la Russie.

Svetlana Tikhanovskaïa, cheffe de l’opposition en Biélorussie

Comment ? En imposant des sanctions contre les individus et les entreprises « qui propulsent la machine de guerre de Poutine », en facilitant l’accès aux visas et en appuyant la société civile par l’entremise de la création d’un fonds destiné au journalisme indépendant et d’un programme d’aide pour les familles des prisonniers politiques, entre autres.

Elle a assez bon espoir qu’Ottawa répondra présent et déliera les cordons de sa bourse, à hauteur de quelques millions de dollars. Des 82 millions en aide sur un an demandés pour financer les programmes voués à la société civile, 60 millions ont été fournis par les États-Unis et l’Union européenne, précise son collaborateur Valery Kavaleuski.

La ministre Joly annoncera ce mardi, dans le cadre d’un tête-à-tête avec Svetlana Tikhanovskaïa, des sanctions à 22 autres fonctionnaires de la Biélorussie, « y compris ceux qui sont complices du stationnement et du transport du personnel et du matériel militaires russes impliqués dans l’invasion de l’Ukraine », et à 16 autres entreprises biélorusses « impliquées dans la fabrication de matériel militaire, la technologie, l’ingénierie, les activités bancaires et le transport ferroviaire ».

L’Ukraine éclipse la Biélorussie

La répression politique en Biélorussie, nation dirigée avec une poigne de fer depuis 1994 par Alexandre Loukachenko, se poursuit dans l’ombre de cette guerre que fait Moscou à l’Ukraine. En fait, elle est « florissante », le président sachant que les yeux du monde sont tournés ailleurs, argue Svetlana Tikhanovskaïa.

PHOTO MUKHTAR KHOLDORBEKOV, ARCHIVES REUTERS

Le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko (à gauche), et le président de la Russie, Vladimir Poutine (au centre), lors d'une rencontre en octobre dernier

« Cela lui permet de dissimuler ses crimes contre l’humanité […]. Il envoie en détention entre 10 et 15 personnes chaque jour », explique celle qui en connaît un bail sur le sujet. Car en 2020, son mari Sergueï a été condamné à 18 ans de prison, alors qu’il prévoyait se présenter à la présidentielle. C’est elle qui l’a fait à sa place.

Si son mari vit des moments difficiles, la femme de 40 ans mère de deux enfants n’a pas semblé vouloir s’attarder à lui en particulier, alors qu’il y a au bas mot 1400 prisonniers politiques en Biélorussie. « Je ne veux pas être cynique, mais c’est ardu en ce moment de surprendre les gens quand on parle de répression », avance-t-elle.

« Il faudra se tenir prêt »

En théorie, le prochain scrutin présidentiel en Biélorussie doit se tenir en 2025.

L’objectif de l’opposition est de faire en sorte qu’une élection hâtive se tienne. « Quand est-ce que ça arrivera ? Personne ne le sait », laisse tomber la politicienne malgré elle. La possibilité d’un soulèvement menant à un renversement du président Loukachenko, elle ne l’écarte pas.

Le fruit, cependant, devra être mûr.

Le régime est une chaise à trois pattes : l’appui de Poutine, la violence, l’argent. Si on coupe une patte, le système s’effondre […]. Il faudra se tenir prêt à saisir l’opportunité.

Svetlana Tikhanovskaïa, cheffe de l’opposition en Biélorussie

On a longtemps cru que Minsk s’impliquerait de manière frontale dans cette guerre en Ukraine voisine. Elle y a tacitement participé, joué au chat et à la souris, placé des pions à la frontière.

Mais si le président Loukachenko a évité d’accrocher « son petit bateau au navire russe », c’est parce qu’il savait que des vents contraires soufflaient, analyse la figure de proue de l’opposition biélorusse.

« Il n’y a aucun mouvement anti-ukrainien au sein de la société biélorusse. Il aurait perdu la face, et Poutine aurait constaté qu’il n’avait aucun contrôle sur son armée », plaide-t-elle.

Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait néanmoins se pencher sur le cas du président : « Il est souvent ignoré : tout le monde parle de la Russie, mais Loukachenko est aussi un criminel de guerre, car il a accueilli les troupes russes en territoire biélorusse. »

En savoir plus
  • 80 %
    Score obtenu lors de l’élection du 9 août 2020 par Alexandre Loukachenko, contre environ 10 % pour Svetlana Tikhanovskaïa
    Source : Statista
  • 18 ans
    Peine d’emprisonnement dont a écopé en 2021 Sergueï Tikhanovski, le mari de Svetlana Tikhanovskaïa, un blogueur détracteur du régime Loukachenko
    Source : Agence France-Presse