La Turquie, qui a déjà lancé trois opérations militaires dans le nord de la Syrie de 2016 à 2019, promet de mener une nouvelle offensive terrestre contre les forces kurdes établies dans la région.

Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a indiqué lundi que des discussions étaient en cours pour déterminer l’importance du contingent militaire requis à cette fin en vue de protéger le pays contre d’éventuelles attaques.

« Nous avons déjà prévenu : nous ferons payer ceux qui nous dérangent sur notre territoire », a assuré le chef d’État dans une entrevue relayée par l’Agence France-Presse.

Ankara maintient que les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) en Syrie sont derrière un attentat meurtrier survenu le 13 novembre à Istanbul qui a fait 6 morts et 81 blessés.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONAL TURC, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le ministre turc de la Défense Hulusi Akar (à droite, le bras tendu) dirigeait lui-même les opérations militaires, dimanche, lors des frappes d’Ankara contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie.

Les autorités turques, qui ont procédé à des dizaines d’arrestations, affirment qu’une femme appréhendée à la suite de l’attaque a reçu ses ordres à Kobané, bastion syrien des YPG, qui sont considérés par la Turquie comme de proches alliés des « terroristes » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Démentis chez les forces kurdes

Tant le PKK, qui est engagé depuis 40 ans dans une lutte armée contre le pouvoir turc, que les YPG ont nié toute responsabilité dans l’affaire.

Leurs démentis ont été rejetés du revers de la main par le président Erdoğan, qui a donné son aval à une offensive aérienne ayant ciblé dimanche des dizaines de positions du PKK et des YPG avant d’évoquer l’offensive terrestre.

Un nombre limité des positions touchées étaient dans le nord de l’Irak, mais la plupart se trouvaient concentrées dans le nord-est de la Syrie, où les forces kurdes gèrent de manière autonome depuis plusieurs années un vaste territoire adjacent à la frontière.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme a indiqué lundi que ces frappes avaient fait 35 morts.

PHOTO BADERKHAN AHMAD, ASSOCIATED PRESS

Des Kurdes syriens du village d’Al Malikiyah assistent aux funérailles des personnes touchées par les frappes aériennes turques de dimanche le long de la frontière syrienne.

À la suite de ses offensives terrestres précédentes, la Turquie a déjà obtenu l’aménagement d’une zone tampon de plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur sur une section importante de la frontière avec la Syrie. Elle pourrait maintenant vouloir l’étendre en poussant encore plus à l’est.

Dommages collatéraux possibles chez les alliés d’Ankara

David Romano, spécialiste de la question kurde rattaché à l’Université d’État du Missouri, note que la nouvelle opération annoncée n’est pas sans risque, puisque des troupes russes sont présentes du côté syrien et que les États-Unis conservent dans la région kurde près d’un millier de soldats.

La Russie, note l’analyste, ne semble pas vouloir s’émouvoir outre mesure des visées expansionnistes turques et pourrait même chercher à en tirer profit politiquement alors qu’elle est montrée du doigt pour son offensive en Ukraine.

« Comme la Turquie est membre de l’OTAN, ils pourraient chercher à suggérer que l’organisation a deux poids, deux mesures et favorise ses propres membres », souligne M. Romano.

L’attitude des États-Unis, qui avait mis en garde Ankara en mai contre toute offensive susceptible de déstabiliser la situation à la frontière, risque de peser lourdement dans la balance.

Si un soldat américain est tué, il y aura un gros prix à payer.

Henri Barkey, spécialiste de la Turquie rattaché à l’Université Lehigh, en Pennsylvanie

M. Barkey estime qu’il était contraire aux intérêts des forces kurdes syriennes de vouloir orchestrer un attentat sur le sol turc puisqu’il donne un « prétexte » au président turc pour lancer une offensive.

Joute politique en vue des élections turques ?

M. Romano note que la tenue d’élections cruciales en juin prochain n’est sans doute pas étrangère au comportement du chef d’État turc, qui voit sa popularité minée par les difficultés économiques que traverse le pays.

« L’offensive contre les Kurdes pourrait lui permettre de redorer son blason politiquement en jouant la carte nationaliste », a indiqué lundi un analyste établi à Istanbul qui a demandé à ne pas être nommé.

La possibilité d’une telle offensive était prévue, selon lui, de longue date et risque d’être bien reçue par la population turque.

« Les journaux turcs, qui n’ont pas le choix de refléter le discours gouvernemental, s’efforcent de présenter Erdoğan comme un héros », souligne M. Barkey.

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