(Mykolaïv) L’Ukraine a annoncé jeudi la reconquête d’une douzaine de villages dans la région de Kherson, dans le sud du pays, où Moscou a confirmé avoir entamé son repli, un nouveau revers majeur pour l’armée de Vladimir Poutine.

« Ce n’est pas l’ennemi qui se retire, ce sont les Ukrainiens qui chassent l’occupant en en payant le prix », a souligné dans la soirée le président Volodymyr Zelensky, prenant le contre-pied de l’armée russe qui a affirmé mercredi se retirer pour occuper de meilleures positions. « Cela a été obtenu par le courage, dans la douleur et avec des pertes », a ajouté le président ukrainien.

À la mi-journée, le commandant en chef de l’armée ukrainienne, Valery Zaloujny, avait annoncé que ses forces avaient avancé mercredi de 7 km, prenant le contrôle de six localités dans la direction de Petropavlivka-Novoraïsk » et repris également « six localités dans la direction de Pervomaïske-Kherson ».

Volodymyr Zelensky a affirmé que c’étaient désormais au total « 41 villages » qui avaient été repris dans la région, où la contre-offensive ukrainienne a commencé en octobre.

L’armée russe a elle annoncé avoir commencé son retrait en déplaçant ses troupes de la rive droite (occidentale) où se trouve la ville de Kherson, à la rive gauche du fleuve Dniepr, un obstacle naturel théoriquement plus facile à défendre.

 « Des unités du contingent de troupes russes manœuvrent vers des positions aménagées sur la rive gauche du fleuve Dniepr », a indiqué le ministère russe de la Défense.  

Le général Sourovikine, en charge de l’offensive russe en Ukraine, avait annoncé mercredi que le repli se ferait « très rapidement », sans donner de calendrier.

Côté ukrainien, l’annonce a été accueillie sans triomphalisme et avec circonspection, Kyiv soupçonnant un piège. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait réagi mercredi avec une « extrême prudence ».

Silence du Kremlin

Relevant ne pouvoir à ce stade « ni confirmer, ni infirmer les informations relatives à un prétendu retrait des troupes russes de Kherson », le général Oleksiï Gromov, représentant de l’état-major ukrainien, a cependant souligné que, dos au Dniepr, les Russes n’avaient « d’autre choix que de fuir » face à la poussée ukrainienne.

À Mykolaïv, grande ville du sud à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Kherson, des habitants sont méfiants sur les intentions du Kremlin.

Des images satellites montraient encore ces derniers jours les Russes creusant des lignes de tranchées sur la rive gauche du Dniepr, de l’autre côté du fleuve.

Ces positions pourraient permettre aux Russes d’être très bien placés pour cibler les troupes ukrainiennes qui entreraient dans Kherson.

Pour le Igor Kossorotov, un mécanicien de 59 ans, « les Russes vont tout simplement mettre en ruines la ville et puis voilà ». « Ils la feront couler dans le fleuve ».

De son côté, le Kremlin n’a fait aucun commentaire, le briefing quotidien de son porte-parole ayant été annulé jeudi.

Le président américain Joe Biden a, lui, estimé que l’annonce du repli constituait « la preuve que (les Russes) ont de vrais problèmes ».

Un retrait russe « serait une nouvelle victoire » pour Kyiv, a salué pour sa part le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, depuis Rome.

Le départ de Kherson, s’il se confirme, constitue un nouveau cinglant revers pour Moscou, déjà contraint d’abandonner la région de Kharkiv (nord-est) en septembre.

D’autant que Vladimir Poutine avait revendiqué fin septembre l’annexion de quatre régions ukrainiennes, dont Kherson, et ordonné le 21 septembre la mobilisation de quelque 300 000 réservistes pour consolider les lignes russes.

Le président russe avait prévenu que la Russie défendrait « par tous les moyens » ce qu’elle considère désormais comme son territoire.

Depuis l’été, l’armée ukrainienne, forte d’armements occidentaux, a peu à peu usé les forces russes notamment en pilonnant les ponts, essentiels au ravitaillement des troupes sur la rive occidentale du Dniepr.

Fenêtre pour des négociations ?

Raison et portée d’un retrait russe de Kherson

L’armée russe a annoncé jeudi entamer le retrait de ses troupes de Kherson, ville stratégique du sud de l’Ukraine occupée par Moscou depuis février. Explications sur la portée de ce repli et revers pour Vladimir Poutine.

Pourquoi maintenant ?

Le commandant des opérations russes en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, a présenté cette retraite comme un moyen de sauver des milliers de soldats russes toujours sur place, coincés dos au fleuve Dniepr et sous forte pression.

Depuis fin août, l’armée ukrainienne mène dans la région une vaste contre-offensive qui lui a permis d’y reprendre, pas à pas, des dizaines de localités.

Avec des pièces d’artillerie longue portée de haute précision livrées par l’Occident, notamment les Himars américains, Kyiv a bombardé sans relâche pendant des semaines les dépôts de munitions et les lignes d’approvisionnements russes dans la région. Les assassinats ciblés de cadres prorusses s’y sont également multipliés.

« L’ennemi n’a pas eu d’autre choix que de fuir », a noté jeudi le général Oleksiï Gromov, représentant de l’état-major ukrainien, disant toutefois ne pas pouvoir « ni confirmer ni infirmer » la réalité du retrait.

Moscou avait déjà ordonné dès le 18 octobre le départ des civils et de l’administration d’occupation de Kherson vers la rive gauche du Dniepr, barrière naturelle où Moscou pourrait plus facilement consolider ses lignes.

Le centre d’analyse militaire ISW a aussi jugé peu probable que l’annonce du retrait russe soit une feinte.

Il assure avoir constaté ces derniers temps « un retrait constant de forces russes, de ressources militaires et économiques et des éléments de l’occupation » vers la rive est du Dniepr.

Quelle importance ?

Cette retraite constitue un énorme revers pour la Russie de Vladimir Poutine, qui avait revendiqué l’annexion en septembre de la région de Kherson avec trois autres territoires ukrainiens et déclaré que ces terres resteraient russes « à jamais ».

Stratégiquement, sans tête de pont à Kherson, il sera difficile pour Moscou de poursuivre son offensive vers la ville ukrainienne de Mykolaïv, puis le port stratégique d’Odessa sur la mer Noire.

Par ailleurs, la Russie pourrait perdre le contrôle du barrage de Kakhovka, sur le Dniepr, qui est stratégique pour approvisionner en eau la péninsule annexée de Crimée qui borde la région de Kherson.

Depuis la ville de Kherson, les troupes ukrainiennes pourraient même frapper directement la Crimée avec leur artillerie longue portée.

Après le retrait russe du nord-est ukrainien, ce second repli d’ampleur en deux mois peut aussi peser sur le moral des troupes, à l’heure même où Moscou déploie des centaines des milliers de réservistes, des civils sans réelle expérience militaire pour la plupart.

Quelles réactions en Russie ?

Les chaînes d’information russes assuraient jeudi une couverture a minima de cette retraite, comme souvent en cas de mauvaises nouvelles du front ukrainien.

Contrairement aux précédents revers russes, les voix des durs du régime ont dans l’ensemble approuvé le repli, se gardant de critiquer la hiérarchie militaire russe.

Le satrape tchétchène Ramzan Kadyrov, ou encore le chef du puissant groupe paramilitaire Wagner, Evguéni Prigojine, ont ainsi tous les deux salué une décision difficile, mais nécessaire.

La nomination en octobre du général Sergueï Sourovikine à la tête des forces russes en Ukraine semble avoir satisfait les plus radicaux. Car ce militaire au visage patibulaire jouit d’une aura de chef impitoyable, mais compétent, et capable, s’il le faut, de prendre des décisions difficiles.

La suite ?

Le retrait de Kherson devrait permettre aux forces russes de se retrancher derrière la barrière naturelle du Dniepr, rendant bien plus difficile la poursuite d’une offensive ukrainienne dans la région.

Moscou, qui a subi de lourdes pertes, veut aussi se donner le temps d’équiper et de former les dizaines de milliers de soldats mobilisés depuis septembre. En vue, peut-être, d’une nouvelle offensive après l’hiver.

Des responsables américains ont également évoqué la possibilité d’une reprise de négociations de paix entre Kyiv et Moscou, au point mort depuis fin mars.

Dans le Donbass, la Russie essaye depuis plusieurs semaines de prendre la ville de Bakhmout, qui comptait 70 000 habitants avant l’invasion.

 « C’est devenu plus compliqué ces trois derniers jours », observe auprès de l’AFP Vitaly, un soldat ukrainien de 26 ans. « Les Russes poussent de plus en plus, même si nos hommes tiennent leurs positions », affirme-t-il depuis Bakhmout.  

Les succès de Kyiv ont par ailleurs relancé les spéculations sur l’éventuelle reprise de pourparlers de paix, certains médias affirmant même que l’Occident poussait l’Ukraine à les reprendre.

 « Il y a bien plus de 100 000 soldats russes tués et blessés », a déclaré mercredi le plus haut responsable militaire américain, le général Mark Milley, qui s’exprimait devant le New York Economic Club. « Même chose probablement du côté ukrainien », a-t-il ajouté.

 « Il doit y avoir une reconnaissance mutuelle que la victoire militaire n’est probablement pas, au sens propre du terme, réalisable par des moyens militaires », a ajouté le général Milley, estimant qu’il existe « une fenêtre d’opportunité pour la négociation ».

Mais Volodymyr Zelensky a rappelé cette semaine ses conditions pour cela, dont la première est le retrait complet des troupes russes du territoire ukrainien. Et les États-Unis n’ont pas semblé affaiblir pour autant leur soutien militaire à Kyiv, annonçant jeudi une nouvelle tranche d’aide de 400 millions de dollars avec notamment des « capacités supplémentaires de défense anti-aérienne ».