Mette Frederiksen, première ministre du Danemark, paiera-t-elle le prix de ses décisions controversées ?

Il y a une coquille dans votre titre. Vous vouliez dire « manque de vision », n’est-ce pas ?

Non, on parlait bien de vison, comme dans « manteau en vison ». Eh oui, car c’est un peu à cause de cette charmante petite bête à fourrure qu’il y a des élections anticipées au Danemark, le 1er novembre.

Ah bon ? Vous m’intriguez…

Mette Frederiksen est devenue la plus jeune première ministre du Danemark en 2019, une victoire sans appel. À 44 ans, cette socialiste est comparable à Brigitte Nyborg, de la série politique danoise Borgen. Elle brille par sa modernité et son utilisation des réseaux sociaux. Mais elle a perdu des points, l’an dernier, quand elle a donné le feu vert à l’abattage de 17 millions visons d’élevage en raison d’une contamination à la COVID-19 qu’on craignait potentiellement menaçante pour les humains. Une controverse qu’elle traîne depuis comme un boulet.

Oh là là ! 17 millions ?! Mais c’est énorme !

Et comment ! La population danoise s’est émue de la détresse des éleveurs et des images déchirantes de montagnes de visons sacrifiés. C’est devenu encore plus grave quand on a réalisé — trop tard — que le gouvernement n’avait pas le pouvoir d’ordonner ce massacre. Il a été démontré par la suite que Mme Frederiksen n’avait pas intentionnellement enfreint la loi. Mais cette affaire a quand même mené à la démission de son ministre de l’Agriculture et au blâme d’une commission d’enquête. Non négligeable : le Danemark était jusqu’ici le plus gros exportateur européen de cette fourrure recherchée.

D’où ces élections…

Oui. En septembre, l’opposition de droite et d’extrême droite a commencé à réclamer la convocation d’élections anticipées. Elles auront finalement lieu à cause d’un ultimatum de la Gauche radicale, un parti allié, qui menaçait en juin de faire tomber le gouvernement par une motion de censure si des élections n’étaient pas déclenchées.

Quelles sont les chances de victoire de Mme Frederiksen ?

C’est loin d’être gagné. Selon les sondages, le « bloc rouge » (gauche), mené par les sociodémocrates de Mme Frederiksen, se situerait entre 47 et 50 %, tandis que le « bloc bleu », qui inclut les libéraux, les conservateurs et trois partis nationalistes de droite radicale (anti-immigration), oscille entre 49 et 50 %. Un autre sondage donne 86 sièges sur 179 au bloc rouge et 85 au bloc bleu. « Ce sont des élections très serrées. Les plus serrées qu’on a vues depuis longtemps », insiste Kasper Møller Hansen, professeur de science politique à l’Université de Copenhague. « Il y a plus de volatilité que jamais et beaucoup d’indécis. C’est très excitant, parce qu’on ne peut rien prévoir. »

Comment Mme Frederiksen peut-elle l’emporter ?

En créant des alliances… mais lesquelles ? Une partie de la réponse se trouverait dans le nouveau Parti modéré de l’ancien premier ministre Lars Loekke Rasmussen, qui se veut à la fois de droite et de gauche. « Il a décidé qu’il se placerait au milieu et qu’il serait violet », résume Kasper Hansen. M. Rassumssen en se voit attribuer que 6 % des voix, mais il pourrait faire la différence et jouer les faiseurs de rois. « Ses votes seront décisifs, tranche M. Hanse. S’il va du côté rouge, ce sera un gouvernement rouge. S’il va du côté bleu, ce sera un gouvernement bleu. Pour le moment, il ne laisse aucun indice sur son choix. Il dit qu’il épousera la politique de la raison… »

Et c’est quoi, la « politique de la raison » ?

Allez savoir. Mais il est vrai que celle de Mme Frederiksen laisse songeur. Elle est clairement de gauche pour les politiques sociales et fiscales, mais porte à droite pour sa politique migratoire musclée. Comme le Parti conservateur au Royaume-Uni, elle souhaite expulser les demandeurs d’asile au Rwanda, ce qui fait hurler les organismes de droits de la personne. L’immigration ne sera toutefois pas au cœur des enjeux pour cette élection, souligne Kasper Hansen, pour la simple raison que les migrants sont aujourd’hui moins nombreux et « parce qu’une majorité de Danois sont favorables à des politiques strictes dans le domaine ». Le scrutin tournera plutôt autour de l’inflation, du climat et du manque d’effectifs dans le système de santé.

Attendez, rien sur les visons ?

Pour quoi faire ? Il n’en reste plus ! Mais rassurez-vous, c’est temporaire. À compter du 1er janvier, les éleveurs pourront redémarrer leurs entreprises. Les autorités sanitaires ont statué que cela représentait un risque limité, du moment que la population de visons est « significativement réduite ». Des subventions seront accordées aux éleveurs qui veulent relancer leur cheptel… et à ceux qui veulent se reconvertir.

Sources : Le Monde, BBC, The Guardian, Euronews, ABC News