(Londres) Tout va décidément très vite au Royaume-Uni.

Cinq jours à peine après la démission de Liz Truss, Rishi Sunak a remporté lundi la course à la direction du Parti conservateur, devenant du coup le nouveau premier ministre du pays, le troisième en moins de trois mois.

Ex-banquier richissime de 42 ans, Sunak s’est vu confier les clés de Downing Street au cours de la journée, à la suite du renoncement de son unique rivale, Penny Mordaunt, qui n’a pas pu recueillir les 100 parrainages nécessaires parmi les 357 députés conservateurs.

L’autre candidat potentiel, Boris Johnson, s’était désisté la veille, au grand soulagement de nombreux Britanniques, qui redoutaient un retour du dirigeant déchu, qui a démissionné fin juin pour cause de scandales à répétition.

Pour Sunak, cette nomination a des airs de revanche, lui qui avait perdu la course à la direction, début septembre, face à Truss.

Mais la tâche s’annonce colossale – voire suicidaire – pour cet ancien chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances), qui hérite d’un parti divisé et d’un pays au seuil de la récession, où la colère sociale commence à gronder. Entre crise du coût de la vie (inflation à 10 %), dossiers politiques en suspens (Écosse, Irlande du Nord), aide financière à l’Ukraine et Brexit non digéré, le nouveau premier ministre aura de nombreux dossiers à régler, à court et à moyen terme.

« Il ne fait aucun doute que nous sommes devant un défi économique profond, a reconnu Sunak lundi, lors d’une allocution. Nous avons besoin de stabilité et d’unité, et rassembler le parti et le pays sera ma priorité absolue », a-t-il déclaré devant un drapeau britannique, sourire figé et ton vaguement optimiste.

« C’est le plus grand privilège de ma vie de servir le parti que j’aime et donner à mon tour au pays auquel je dois tant », a-t-il ajouté, promettant de servir avec « intégrité et humilité ».

Au cours d’une réunion à huis clos tenue dans la foulée, le nouveau premier ministre aurait par ailleurs exhorté les tories à « s’unir » sous peine de « mourir » à deux ans des élections législatives, selon ce que rapporte l’Agence France-Presse, citant des participants à cette rencontre.

La parole aux Londoniens

Adepte de la prudence budgétaire, Rishi Sunak semble être le parfait antidote aux expérimentations fiscales désastreuses de Liz Truss. Pendant la course à la direction du parti, il avait d’ailleurs critiqué le programme économique de sa rivale, l’accusant à plusieurs reprises de vivre dans un « conte de fées ».

Sa gestion de la crise de la COVID-19, alors qu’il était chancelier de l’Échiquier (2020-2022), joue aussi en sa faveur. Son arrivée au pouvoir devrait pour un temps rassurer les marchés, qui ont connu une stabilisation de la livre sterling lundi, après que celle-ci eut plongé à un creux historique au cours des dernières semaines.

Mais dans les rues de la capitale, on était beaucoup moins enthousiaste.

Entre colère, sarcasme et lucidité, la plupart des Londoniens interrogés par La Presse ont critiqué le « ridicule » extrême du Parti conservateur, qui ne cesse de « mettre le Royaume-Uni dans l’embarras » avec sa succession de premiers ministres « clownesques » et « peu professionnels ».

Pour certains, Rishi Sunak était peut-être « le moins mauvais » de tous les candidats. Assurément mieux, en tout cas, que le polarisant Boris Johnson, dont le retour aurait été « une grave erreur », selon Kelly Farrow.

Plusieurs estiment toutefois que cet ex-banquier d’affaires, marié à une millionnaire plus riche que le roi Charles III, ne sera pas très sensible à la réalité du vrai monde. « Je ne me fais pas d’illusions. Ces gens sont complètement déconnectés », siffle Beverly Kanuga, assise à la terrasse d’un café près de la gare Victoria.

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Beverly Kanuga, à la terrasse d’un café

Mais le pire, disent-ils, est l’indécence de cette nomination en circuit fermé.

Après la débâcle Johnson et le désastre Truss, beaucoup estiment que les conservateurs étaient dans l’obligation morale de déclencher des élections, plutôt que d’imposer un autre premier ministre au reste du pays. « C’est le troisième en deux mois. À ce stade, on aurait dû avoir notre mot à dire. À mon avis, c’est de l’abus », lance Andrew Cobley, cigarette au bec, à l’entrée d’un pub.

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Andrew Cobley et un autre client du pub

« Tout simplement incroyable, ajoute Lou Miller depuis sa fenêtre, résumant grosso modo le sentiment général. Ces tories sont vraiment une bande d’idiots. »

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Lou Miller, à sa fenêtre

Limiter les dégâts

Rishi Sunak est le premier non-blanc à accéder au poste de premier ministre du Royaume-Uni, un symbole en soi.

Ce petit-fils d’immigrés indiens a fait fortune dans la finance, avant de se tourner vers la politique. Député du Yorkshire (nord de l’Angleterre) depuis 2015, il a été chancelier de l’Échiquier sous Boris Johnson avant de démissionner avec fracas et de mener la fronde qui a précipité la chute de son ancien patron, à la suite des controverses du « partygate ».

Reconnu pour son élégance, cet amateur de chaussures chics et de costumes bien coupés est passé par des écoles privées de haut rang et par l’Université d’Oxford, ce qui en fait un pur produit de l’élite britannique.

Certains lui ont reproché d’être trop craintif, trop technocrate, voire trop lisse. Mais on dit aussi qu’il a le sens du détail, de la rigueur et une bonne connaissance des dossiers.

Assez pour survivre à l’épreuve ?

« Il est certainement plus compétent que Liz Truss et Boris Johnson, conclut Christopher Stafford, professeur de politique britannique à l’Université de Nottingham. Cela dit, ses politiques économiques ne seront sans doute pas très populaires. Le mieux qu’il puisse faire est donc de limiter les dégâts. Avec un peu de stabilité et de leadership, il pourra peut-être regagner la confiance du public et des marchés et éviter à son parti d’être balayé lors des prochaines élections. »

Rishi Sunak entrera en fonction mardi matin, après avoir été officiellement nommé par le nouveau roi, Charles III. Pour l’un et l’autre, il s’agira d’une grande première.

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 10,1 %
    Taux d’inflation au Royaume-Uni, le plus important de tous les pays du G7.
    SOURCE : Office for National Statistics
  • 19 %
    Vote en faveur du Parti conservateur si des élections avaient lieu aujourd’hui. Le Parti travailliste (Labour) en obtiendrait 53 %.
    Source : Sondage YouGov 20-21 octobre