(Londres) Que les monarchistes se rassurent, l’héritage de la reine est entre bonnes mains.

Pour sa première adresse à la nation, prononcée 24 heures après la mort d’Élisabeth II, le roi Charles III a livré un discours sans faute, aussi solennel que maîtrisé.

Veston noir et cravate noire, il s’est exprimé pendant une dizaine de minutes à la télévision britannique, dans une vidéo préenregistrée, assis à un bureau devant une photo de sa mère.

Le visage grave, il s’est engagé à défendre les principes de la monarchie et de l’Église anglicane (« Nos valeurs sont restées et doivent rester constantes ») et a officiellement cédé le titre de prince de Galles à son fils William, qui doit lui succéder un jour sur le trône.

Plus personnel, il a remercié sa « maman chérie » pour son dévouement à la couronne et exprimé son « amour » à son fils Harry et sa femme Meghan, qui vivent aujourd’hui en marge de la famille royale.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Dans un pub de Londres visité par notre journaliste, toute l’attention était monopolisée par le discours du roi Charles III.

Dans le pub préféré de La Presse, on pouvait entendre voler les mouches. Le prince Charles n’était peut-être pas aussi apprécié que sa mère, mais tout le monde était curieux d’entendre le nouveau monarque, conscient d’assister à un moment historique.

Hormis les habituelles critiques (« je ne l’ai jamais aimé de toute façon ») liées pour la plupart au traumatisme Diana, le verdict semblait plutôt positif.

« Le ton était juste. C’était bien senti. Touchant. Il ne nous avait pas habitués à ça quand il était prince », remarque Donna Balsdon.

Assis à deux tables, Hugh Mandy tenait à peu près les mêmes propos : « Il a dit ce que nous voulions entendre au sujet de la continuité. Il l’a dit avec émotion. Ce n’était pas évident, si peu de temps après la mort de sa mère. »

Entre le passé et l’avenir

L’allocution venait conclure une journée fébrile.

Pour la première fois en 70 ans, le Royaume-Uni s’est réveillé vendredi sans la reine Élisabeth II, qu’on croyait quasiment immortelle. Dans un pays où la plupart des habitants n’ont connu qu’elle comme souveraine, ce départ laisse un grand vide et des millions de Britanniques presque orphelins.

À Londres, il y avait dans l’air quelque chose de décalé, même si la vie semblait suivre son cours.

PHOTO LOÏC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

En une des journaux londoniens, l’annonce de la mort de la reine Élisabeth II

La pluie qui est tombée à midi rajoutait à cette drôle d’ambiance. Les Londoniens marchaient lentement sur la chaussée mouillée, en ayant l’air de réfléchir à la page d’histoire qui vient de se tourner, et qui se traduira par un deuil national de 10 jours.

Des milliers ont aussi convergé vers le palais de Buckingham, pour accueillir le nouveau roi et rendre hommage à la souveraine disparue.

Il y avait de la tristesse devant les grilles du château, mais l’ambiance n’était pas lourde, plutôt calme et recueillie. Tout le monde s’attendait au départ de la reine. Il n’y avait ni choc ni surprise, juste l’acceptation que la mort fait partie de la vie. « C’était une très vieille dame », résume tout simplement Hugh Black, un Canadien de Kingston rencontré à quelques mètres de l’entrée.

« Un moment historique »

Quand il a commencé à pleuvoir, des centaines de parapluies se sont ouverts en même temps. Impression d’une mise en scène soigneusement préparée pour l’épisode final de The Crown. Au sommet du château, le drapeau britannique était en berne.

PHOTO CHRISTOPHE ENA, ASSOCIATED PRESS

Personnes rassemblées vendredi devant le palais de Buckingham, sous des parapluies aux couleurs du drapeau britannique

Les bobbies ont ensuite dispersé la foule pour laisser passer un détachement du King’s Troop Royal Horse Artillery, en route vers Hyde Park. À 13 h pile, ce régiment protocolaire a fait tonner les canons 96 fois, une tradition royale visant à rappeler l’âge d’un ou d’une monarque au moment de sa mort.

Puis les curieux ont repris possession de la rue, pour « rendre hommage » et « montrer du respect » à celle qui fut si longtemps un symbole du Royaume-Uni, image rassembleuse et gage de stabilité dans un monde en changement perpétuel.

On déposait des gerbes de fleurs, on se photographiait devant les grilles, pour bien prouver qu’on y était. On portait des t-shirts de la reine version « pop art » ou Bowie-période-Ziggy, comme si Élisabeth II avait été une rock star de plein droit. Étrange contraste avec l’austérité du personnage, même si celui-ci était devenu une véritable icône de la culture populaire, au même titre que Gandhi ou Che Guevara.

« C’est vraiment un moment historique, je ne l’aurais raté pour rien au monde, lance Rob Stokoe, drapeau britannique autour du cou. On vient de perdre notre mamie. »

La reine avait tout vu, tout entendu. Elle nous a inspirés dans les moments difficiles. On se souciait de sa santé. Elle était vraiment la grand-mère de la nation.

Rob Stokoe

S’identifier

L’idée de « famille » revenait souvent vendredi, chez les admirateurs de la reine. Même si elle était à des kilomètres de leur réalité, et qu’elle n’a jamais livré le fond de sa pensée sur quelque sujet que ce soit, bien des Britanniques se sentaient proches d’Élisabeth. « On appartenait à sa famille et elle à la nôtre », résume Harry McDonald, flegmatique, sous son imperméable.

Son absence de prises de position a peut-être contribué à renforcer cette relation. Élisabeth II était l’écran blanc sur lequel chacun pouvait se projeter, hors de tout débat politique. Elle était une figure de consensus, flottant au-dessus de la mêlée. Un point de référence pour tous et toutes.

« Je m’identifiais carrément à elle, souligne Maisie McNeice, qui en est à sa seconde visite au palais de Buckingham en 24 heures. C’était une vieille dame, adorable et digne. Je suis tellement groupie, j’ai failli conduire 9 heures pour aller la voir en Écosse. Et comptez sur moi, j’attendrai 24 heures en file pour la voir à Westminster Hall s’il le faut. »

Finir le travail

Pour plusieurs, Élisabeth II fut aussi la reine d’un parcours (presque) sans faute et cela jusqu’à sa disparition.

La reine avait des problèmes de santé et ne s’est jamais vraiment remise de la mort du prince Philip. Mais elle a tenu bon jusqu’à son jubilé de platine et même jusqu’à la nomination de la nouvelle première ministre Liz Truss, la 15e personne à ce poste sous son règne, qu’elle a rencontré pas plus tard que mardi, quelques heures avant l’annonce de sa mort.

Apparemment, elle voulait finir le travail avant de nous quitter pour de bon. Une autre preuve de son incroyable dévouement à la fonction.

« C’est la fin d’une époque, conclut Sandra McDonald, 81 ans. Cela me rend triste, mais je n’ai pas de regrets. Elle a tout donné pour son pays. Et toute ma vie, elle m’a rendue heureuse… »