(Londres) Nouvelle étape vers le changement de régime au palais de Buckingham. Deux jours après la mort d’Élisabeth II, Charles III a été officiellement proclamé nouveau souverain du Royaume-Uni, samedi au palais Saint James, au terme d’une réunion du Conseil de succession.

« Le prince Charles Philip Arthur George est maintenant, par la mort de notre dame souveraine d’heureuse mémoire, devenu notre Charles III… God save the king (Que Dieu protège le roi) », a déclaré le Conseil, d’un ton solennel.

Charles III, 73 ans, a ensuite prêté serment. « Je suis profondément conscient de ce grand héritage, des devoirs et des lourdes responsabilités de la souveraineté, qui me sont désormais transmis », a-t-il déclaré, vêtu du même costume sombre que lors de son adresse à la nation, quelques heures plus tôt.

La proclamation a ensuite été prononcée en public, sur le balcon du palais Saint James, entre les trompettes et les salves au canon, tirées un peu partout au Royaume-Uni, avant d’être relayée par une demi-douzaine de hérauts en calèche, à Trafalgar Square, puis au Royal Exchange, en plein cœur du quartier financier de la City.

Outre le prince William, nouvel héritier du trône, et la reine consort Camilla, un aréopage de personnalités issues du monde religieux et politique britannique participait à cette cérémonie historique, la première depuis 70 ans.

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Les anciens premiers ministres britanniques David Cameron et Theresa May, lors de la cérémonie au palais Saint James

Parmi eux, la nouvelle première ministre Liz Truss, quelques-uns de ses prédécesseurs (Tony Blair, John Major, Theresa May, David Cameron, Boris Johnson), plusieurs députés et le maire de Londres Sadiq Khan.

Charles, ce mal aimé

Pour la première fois de l’Histoire, cet évènement était aussi retransmis à la télévision, permettant à des millions d’assister à ce rituel séculaire, jusqu’ici inaccessible, et accentuant l’image de proximité que semble vouloir cultiver le nouveau roi depuis 48 heures.

Vendredi, après avoir serré les mains de ses sujets à l’entrée du palais de Buckingham, Charles III est entré à pied dans la résidence, accompagné de la nouvelle reine consort. Un geste d’humilité fort remarqué, qui n’a pas manqué de séduire les Britanniques, qui espèrent s’identifier au fils comme ils s’identifiaient à la mère.

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Charles III, à son arrivée au palais de Buckingham, à Londres, vendredi

Charles n’est certes pas une figure aussi consensuelle qu’Élisabeth. Son franc-parler et son absence de neutralité politique ont parfois divisé l’opinion. La cicatrice Diana demeure également sensible, et certains lui en veulent encore pour cette erreur de parcours, qui s’est terminée sur une note tragique il y a 25 ans.

Sans doute ne sera-t-il jamais une icône comme le fut sa mère. Le temps ne jouera pas non plus en sa faveur. Il monte sur le trône septuagénaire, alors qu’Élisabeth, couronnée à l’âge de 25 ans, a eu le temps de vieillir comme le bon vin.

Ce que disent les Londoniens

Mais on sent dans la population une véritable envie de donner la chance au coureur.

C’est du moins ce qui ressortait samedi sur la bien nommée King’s Road (chemin du Roi), en plein cœur du quartier Chelsea, à Londres. Le ton était bienveillant, voire compatissant. On avait presque pitié de celui qui régnera dans l’ombre démesurée d’Élisabeth, tout en lui reconnaissant, après tout, un certain « potentiel » royal.

« Il a une grosse côte à monter et de grands souliers à chausser », lance Peter Sobchak, Torontois installé à Londres.

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Peter Sobchak

[Le roi] va devoir travailler fort pour rendre les gens heureux. Parce que les attentes sont complètement irréalistes.

Peter Sobchak

« À moins de faire un truc spectaculaire, et vite, ajoute Hugo Piercie, quelques mètres plus loin. Alors on le verra comme le roi, et pas seulement comme le fils de la reine. »

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Hugo Piercie

Pour plusieurs, Charles doit être celui qui amorcera le virage de la modernité dans la famille royale. Un virage qui passerait entre autres par son intérêt pour l’environnement et l’agriculture biologique, des passions qui l’animent depuis longtemps. Mais comment faire pour affirmer sa vision, quand le souverain est tenu de rester neutre ?

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Justin Fahey

« Tout est dans la manière, suggère Justin Fahey. Il peut passer ses messages de manière plus subtile. Diplomate. En visitant des organisations écologiques, par exemple. Il ne donne pas son opinion, mais il attire les projecteurs sur ces gens-là. »

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Susan Middleton

« Surtout, ne pas le sous-estimer, renchérit Susan Middleton. Il a déjà fait des choses formidables et il en fera encore. Il saura trouver le bon équilibre entre la tradition et la modernité. »

Unanimes, les Londoniens ? Pas tout à fait. Un groupe de jeunes non genrés, qui refusent d’être photographiés « de peur d’être harcelés sur les réseaux sociaux », tiennent des propos à contre-courant. Un regard critique et pour le moins rafraîchissant, après un après-midi de bons sentiments.

« Notre génération se désintéresse complètement de la monarchie, parce qu’il se passe un tas de choses plus importantes, explique Harry, la vingtaine. La royauté n’est qu’un théâtre pompeux, animé par des gens qui ont trop d’argent. En pleine crise du coût de la vie, c’est indécent… »

« Charles, William ou Élisabeth, peu importe, complète son ami Alex. Ce système est cassé et reçoit beaucoup trop d’attention. Sérieux. Tu as vu la couverture médiatique pour la mort de la reine ? On annonce 12 jours de deuil et on en a déjà marre… »

La prochaine semaine s’annonce en effet bien chargée. À compter de mercredi, le cercueil de la reine, rapatrié d’Écosse, sera exposé pendant quatre jours dans le hall du parlement à Westminster, après une procession dans les rues de Londres. Entre les branches, on murmure qu’un million de personnes pourraient vouloir défiler devant sa dépouille et que l’attente pourrait durer jusqu’à 24 heures.

Le palais de Buckingham a confirmé samedi que les funérailles auraient bien lieu le lundi 19 septembre, à l’abbaye de Westminster, mettant un terme au deuil le plus médiatisé de l’histoire britannique.

Pas de détails en revanche sur la date du couronnement. On parle de quelques semaines, voire quelques mois après le deuil de la reine. Élisabeth II avait été couronnée en juin 1953, 16 mois après avoir été proclamée officiellement.