Elle n’était pas destinée à monter sur le trône. Elle y est finalement restée plus longtemps que tout autre monarque britannique, dépassant même son arrière-arrière-grand-mère, la reine Victoria. La reine Élisabeth a rendu son dernier souffle jeudi, après 70 ans et demi de règne. Son fils Charles, âgé de 73 ans, devient roi.

Prévenus tôt en journée que la fin approchait, ses quatre enfants et son petit-fils William se sont rendus en Écosse. Le prince Harry, fils cadet de Charles, est arrivé en soirée, sans son épouse Meghan.

Évoquant l’inquiétude de ses médecins, le communiqué du palais de Buckingham, publié jeudi à 12 h 32, heure locale, ne laissait planer aucun doute. La reine allait mourir.

L’annonce est tombée à 18 h 30 (heure de Londres) et a été faite par la famille royale tant par un message sur les grilles du palais de Buckingham que sur Twitter. « La Reine est morte paisiblement à Balmoral cet après-midi. Le Roi et la Reine Consort vont demeurer à Balmoral ce soir et rentreront à Londres demain. »

Appel à tous Que représentait pour vous la reine Élisabeth II ?

Dans la foule qui s’était rassemblée dans l’après-midi, les larmes commencent à couler, puis le silence s’installe avant que l’hymne national God Save the Queen ne résonne.

« Oh no ! », entend-on dans la foule quand l’annonce du décès de la reine tombe.

Dans un message officiel diffusé quelques heures plus tard, Charles, le nouveau roi, a déclaré que la mort de sa mère « tant aimée » est un moment d’une grande tristesse pour lui et pour tous les membres de sa famille. « Pendant cette période de deuil et de changement, le respect et l’affection profonde portés à la Reine seront pour nous source de consolation et de réconfort. »

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L’annonce du décès de la reine Élisabeth II est affichée sur les grilles du palais de Buckingham à Londres.

En vidéo : Qu’est-ce que l’opération « London Bridge » ?

Dans tout le pays, les drapeaux ont été immédiatement mis en berne. Dès l’annonce de sa mort imminente, la BBC a interrompu sa programmation régulière et la relève de la garde devant le palais de Buckingham – où les Anglais affluent de plus en plus – a été annulée.

Devant sa résidence de Downing Street, la première ministre Liz Truss a souligné la dignité et le dévouement de la reine. « Elle était l’esprit de la Grande-Bretagne », a-t-elle dit, soulignant combien elle avait été « aimée et admirée » au Royaume-Uni comme partout dans le monde.

  • Des personnes se rassemblent devant le palais de Buckingham, dans le centre de Londres, après l’annonce du décès de la reine Élisabeth II. Des fleurs ont été déposées devant les grilles du palais.

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    Des personnes se rassemblent devant le palais de Buckingham, dans le centre de Londres, après l’annonce du décès de la reine Élisabeth II. Des fleurs ont été déposées devant les grilles du palais.

  • Dans tout le pays, les drapeaux ont été immédiatement mis en berne.

    PHOTO PETER NICHOLLS, REUTERS

    Dans tout le pays, les drapeaux ont été immédiatement mis en berne.

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Commentant la nouvelle en milieu d’après-midi, Justin Trudeau a dit combien il était peiné à la pensée qu’il ne la reverrait plus. Il a déclaré qu’elle l’avait « conseillé et aidé » au fil des ans. « Elle était intéressée, intéressante, curieuse, drôle, engagée. »

De son côté, le président américain Joe Biden a salué jeudi en Élisabeth II « une femme d’État d’une dignité et d’une constance incomparables ».

Des absences répétées, une fragilité grandissante

Les absences répétées de la reine ces derniers mois à des cérémonies officielles avaient fait prendre conscience aux Britanniques et au monde entier de la fragilité de la souveraine. Pour la première fois en 70 ans de règne, mardi, Élisabeth II n’a pas reçu comme il se doit sa nouvelle première ministre au palais de Buckingham. C’est plutôt Liz Truss qui a parcouru 800 kilomètres de Londres jusqu’en Écosse pour rencontrer pour la première fois la reine Élisabeth II, désormais limitée dans ses déplacements.

Sa mort a tout de même causé un choc dans la mesure où mardi, elle avait été photographiée debout, souriante et plutôt pimpante au côté de son 15e premier ministre.

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La reine Élisabeth II et la nouvelle chef du Parti conservateur et première ministre de Grande-Bretagne, Liz Truss, se sont rencontrées mardi au château de Balmoral à Ballater, en Écosse, où la reine a invité Mme Truss à former un gouvernement.

C’est au parlement, vers midi, par une note glissée par l’un de ses ministres assis à ses côtés que la première ministre a appris que la reine vivait ses dernières heures. Elle a aussitôt quitté la Chambre des communes, suivie du chef de l’opposition Keir Starmer

Charles déjà roi, Camilla, reine consort

Conformément aux règles de la monarchie britannique, « un nouveau souverain monte sur le trône aussitôt que son prédécesseur meurt ». Charles est donc devenu roi à l’instant même où sa mère a rendu l’âme, même si la cérémonie de son couronnement ne se fera probablement que dans quelques mois.

Charles Philip Arthur George Windsor, ancien prince de Galles, deviendra le roi Charles III, ont confirmé ses services dans la soirée. Normalement, la proclamation officielle de la succession se fait le lendemain du décès, donc vendredi. Le nouveau roi y prendra la parole et jurera loyauté au gouvernement et à l’Église anglicane d’Angleterre.

« Aujourd’hui, la Couronne passe, comme elle l’a fait pendant plus de 1000 ans, à notre nouveau monarque, notre nouveau chef d’État, Sa Majesté le roi Charles III », a déclaré en soirée la première ministre Liz Truss.

Conformément au souhait de la reine en février, Camilla, deuxième épouse et ex-maîtresse de Charles, devient reine consort. Sa discrétion et son implication dans maintes œuvres caritatives lui ont permis au fil des ans d’intégrer la famille royale alors qu’elle a longtemps été l’objet des pires critiques, tout comme son mari.

Une fidélité à son peuple à la vie, à la mort

Devenue héritière de la couronne à l’abdication de son oncle Édouard VIII, Élisabeth promet à 21 ans fidélité à son peuple à la vie, à la mort.

« Je déclare devant vous que ma vie entière, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à vous servir », déclare-t-elle le 21 avril 1947.

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La reine Élisabeth II (avec le prince Philip), après son couronnement, le 2 juin 1953

Reine à 25 ans

Quatre ans après son mariage au prince Philip, elle est au Kenya lorsqu’elle apprend la mort de son père, George VI, des suites de problèmes pulmonaires. Elle n’a que 25 ans.

Mue par un profond sens du devoir, ne faisant rien pour devenir une « reine des cœurs » comme sa défunte belle-fille Diana, mais ne ménageant rien pour préserver la monarchie, Élisabeth II deviendra, grâce à sa longévité, sinon une figure mythique, du moins un personnage historique.

Lisse et insaisissable, elle a conseillé 15 premiers ministres. Elle a traversé le temps, assistant successivement à la reconstruction de son pays après la Seconde Guerre mondiale, à la décolonisation, à la guerre en Irlande, à l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne, puis à sa sortie.

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La reine Élisabeth II, lors de l’enregistrement de son message de Noël, en 1971

Sur le plan personnel, si la série The Crown a avancé que Philip aurait eu une liaison avec une ballerine, officiellement, le mariage d’Élisabeth et du prince Philip sera sans histoire et durera 74 ans, ce qui en fait l’un des plus longs mariages chez les têtes couronnées.

La vie conjugale de ses enfants sera autrement tourmentée. L’année 1992, qualifiée par Élisabeth d’annus horribilis, sera marquée par l’incendie du château de Windsor, très cher à son cœur, et du divorce de trois de ses quatre enfants, Charles, Anne et Andrew. Seul son cadet, Edward, n’a jamais divorcé.

La déroute conjugale très publique du prince Charles, héritier du trône, puis la mort de Diana écorcheront la monarchie britannique et particulièrement Élisabeth, dont la réaction en différé à la fin tragique de son ex-belle-fille sera interprétée comme de la froideur.

Le vent finira par tourner. Le prince Charles épousera contre toute attente sa maîtresse de toujours, Camilla Parker Bowles. Mieux, l’union finira par être suffisamment acceptée pour que cessent les conjectures voulant que Charles passe son tour au profit de William et de sa femme Kate, au parcours sans faute.

Non sans mal, la reine regagnera suffisamment l’affection de ses sujets pour que sa légitimité cesse d’être l’un des sujets de l’heure.

En mai 2011, la reine Élisabeth prononcera un discours historique de réconciliation en Irlande, discours qui sera notamment salué par Gerry Adams, qui a milité une partie de sa vie pour la fin de l’autorité britannique sur l’Irlande du Nord.

« Nous ne pourrons jamais oublier ceux qui sont morts ou ont été blessés, ainsi que leurs familles, dira-t-elle. À tous ceux qui ont souffert en raison de notre passé tourmenté, je fais part de mes sentiments sincères et de ma profonde compassion. Avec le recul, nous pouvons voir ce que nous aurions voulu faire autrement ou pas du tout. »

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La reine Élisabeth II, le 12 octobre 2021

Une dernière ligne droite douloureuse

Le 9 avril 2021, le prince Philip meurt à 99 ans. Avec la pandémie de COVID-19, l’impensable se produit : ses funérailles se tiennent dans la plus stricte intimité. La reine assiste aux obsèques sous un masque, à la chapelle Saint-Georges de Windsor. En raison des strictes conditions sanitaires et de sa fragilité liée à son grand âge, la reine Élisabeth sera vue seule sur son banc, face au cercueil du prince.

Sa famille n’aura pas permis à Élisabeth de vivre paisiblement la dernière ligne droite de sa vie. Matriarche d’une famille de quatre enfants, de huit petits-enfants et de douze arrière-petits-enfants, elle sera témoin jusqu’à la fin de la déroute de plusieurs d’entre eux.

Les liens de son fils Andrew avec le financier américain Jeffrey Epstein, maître d’œuvre d’un trafic de mineures, lui valent d’être un temps dans la ligne de mire d’enquêteurs américains. Après une entrevue désastreuse à la télévision, le prince Andrew doit se retirer de la vie publique.

Le mariage de son petit-fils Harry à l’Américaine Meghan Markle a aussi causé beaucoup de remous quand le couple a décidé de déménager aux États-Unis et de se mettre en retrait de la famille royale, sans pour autant renoncer officiellement aux privilèges associés à leurs titres de duc et duchesse de Sussex. La reine ne réagira aucunement elle-même aux accusations de racisme lancées par Meghan et Harry lors d’une entrevue accordée à Oprah Winfrey.

Dans la même veine, la série The Crown, sur Netflix, n’a épargné aucun membre de la famille royale britannique. Le sens du devoir d’Élisabeth y a certes été salué, mais aussi sa froideur, notamment à l’égard de ses enfants.

Plusieurs voix se sont élevées en Angleterre pour réclamer que Netflix dise clairement qu’il s’agissait d’une fiction, d’autant que de nombreux détails historiques étaient manifestement faux dans la quatrième saison.

Élisabeth n’a pas commenté elle-même la série, s’en tenant à son credo Never explain, never complain. En raison de cette règle de vie, elle aura très peu laissé transparaître ses sentiments, si bien que les états d’esprit et les opinions qu’on lui a prêtés sont demeurés pour la plupart pure spéculation.

En octobre 2021, l’hospitalisation d’Élisabeth pour une nuit sera source d’inquiétudes. Ses médecins lui recommanderont d’emblée du repos, alors qu’elle avait passé les mois précédents à multiplier les sorties publiques.

À son jubilé soulignant les 70 ans de son règne, en juin 2022, elle ne fera que de rares apparitions. Elle réussira tout de même à se présenter au balcon du palais de Buckingham devant les Londoniens, aux côtés de sa famille.

Cela aura été son ultime salut à son peuple.

Avec l’Agence France-Presse