(Londres) D’un côté, Liz Truss, ministre des Affaires étrangères. De l’autre, Rishi Sunak, ancien ministre des Finances. Lequel de ces deux candidats sera élu lundi par les quelque 200 000 membres du Parti conservateur britannique, pour succéder à Boris Johnson et devenir premier ministre du Royaume-Uni ? Qui sont-ils et que proposent-ils, dans un contexte d’inflation dramatique et de hausse effarante des prix de l’énergie ? Survol.

Liz Truss

PHOTO JOHN SIBLEY, ARCHIVES REUTERS

Liz Truss, ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni

Qui est-elle ?

À 46 ans, l’actuelle ministre des Affaires étrangères, fille d’une infirmière et d’un mathématicien, a derrière elle un long parcours en politique, ayant dirigé plusieurs ministères au sein du Parti conservateur (Environnement, Commerce, Justice…) depuis 2010. Plusieurs la voient comme l’héritière naturelle de Boris Johnson, qu’elle a soutenu jusqu’au bout. Mais cette diplômée d’Oxford, championne du libre-échange et du conservatisme britannique pur jus, se voit plutôt comme la nouvelle incarnation de Margaret Thatcher, allant jusqu’à se faire photographier à bord d’un char d’assaut, comme son idole en 1986.

Ce que disent les sondages

59 % des intentions de vote

(Sondage Politico, publié le 30 août)

Ce qu’elle dit sur l’inflation

Selon Liz Truss, la politique de M. Sunak « empêcherait la croissance » et mènerait le pays « à la récession ». La ministre des Affaires étrangères s’engage plutôt à appliquer des baisses d’impôt majeures (30 milliards de livres par an), « dès le premier jour », pour aider les Britanniques à surmonter la hausse dramatique du coût de la vie. Mais on se demande comment elle pourra, en même temps, poursuivre les investissements publics, notamment dans le système de santé. Une très mauvaise nouvelle pour l’assurance maladie britannique (NHS), déjà malmenée par une décennie de sous-financement, une main-d’œuvre réduite et la crise de la COVID-19. Rishi Sunak accuse son adversaire d’être « irresponsable », qualifiant ses mesures de « fantaisistes ».

Sur l’environnement…

Elle s’engage à maintenir l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Ouverte à la fracturation hydraulique.

Sur l’immigration…

Elle souhaite augmenter les effectifs de contrôle des frontières de 20 % afin de limiter les traversées de la Manche par les migrants. Soutient et veut même élargir le controversé plan d’expulsion d’immigrants illégaux au Rwanda.

Sur le Brexit…

Ex-remainer reconvertie en Brexiter radicale, Liz Truss plaide pour la réécriture du protocole nord-irlandais, ce projet de loi dont elle fut l’architecte et qui doit faire fi des engagements pris avec l’UE.

Sur l’Écosse…

Rejette l’idée d’un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise, annoncé pour le début d’octobre 2023.

Le bon et le moins bon

Malgré son manque de charisme et ses discours monocordes, Liz Truss est devenue la candidate favorite chez les conservateurs, en raison de ses positions plus à droite. « Elle va gagner auprès des 200 000 militants conservateurs, qui sont âgés, blancs en vaste majorité, issus des petites villes et moins instruits que les partisans de Sunak, explique le journaliste Marc Roche, correspondant à Londres pour L’Express. Cette Angleterre-là se retrouve dans Liz Truss comme elle se retrouvait dans Thatcher. »

L’avis d’un expert

« Liz Truss ressemble beaucoup à Boris Johnson, résume Christopher Stafford. Elle n’a pas d’idéologie fixée. Tout ce qui compte pour elle est de saisir le pouvoir et elle dirait ou ferait tout ce qu’il faut pour atteindre cet objectif. Ça n’augure pas très bien considérant les temps difficiles à venir. Ils [les membres du parti] semblent chercher quelqu’un qui leur dira ce qu’ils veulent entendre, que ce soit réaliste ou non. Les deux candidats excellent à ce chapitre, mais Truss encore plus que Sunak. »

Rishi Sunak

PHOTO STEFAN ROUSSEAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Rishi Sunak, ancien ministre des Finances du Royaume-Uni

Qui est-il ?

Ce petit-fils d’immigrés indiens, âgé de 42 ans, a fait fortune dans la finance, avant de se tourner vers la politique. Député du Yorkshire (nord de l’Angleterre) depuis 2015, il a été chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) sous Boris Johnson, avant de démissionner avec fracas et de mener la fronde qui a précipité la chute de son ancien patron, miné par des scandales à répétition. Reconnu pour son élégance, cet amateur de chaussures chics et de costumes bien coupés est passé par des écoles privées de haut rang et par l’Université d’Oxford, ce qui en fait un pur produit de l’élite britannique.

Ce que disent les sondages

32 % des intentions de vote

(Sondage Politico, publié le 30 août)

Ce qu’il dit sur l’inflation…

Le Royaume-Uni s’enlise actuellement dans une crise majeure, avec une inflation dépassant les 10 %, un record depuis 1982. Pas étonnant que la question du coût de la vie soit au cœur de ce duel. C’est aussi le thème principal sur lequel les deux candidats ne s’entendent pas.

Rishi Sunak joue la carte du réalisme, plaidant pour une politique d’austérité et de « prudence fiscale ». Pour lui, la priorité est de s’attaquer à l’inflation. La dégradation rapide de la situation économique oblige toutefois Sunak à reculer sur certains engagements. Fin juillet, l’ancien chancelier a ainsi promis de réduire les taxes sur les factures de gaz et d’électricité (TVA) et fait miroiter des baisses d’impôt de 23 milliards de livres par an d’ici 2030… si toutefois il est réélu aux prochaines élections, prévues en 2024.

Sur l’environnement…

S’engage à maintenir l’objectif d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et n’exclut pas de nouvelles cibles pour l’indépendance énergétique du Royaume-Uni d’ici 2045.

Sur l’immigration…

Souhaite réduire le nombre de demandes d’asile au Royaume-Uni en modifiant les critères de sélection. Soutient la politique d’expulsion de migrants irréguliers au Rwanda, instaurée par le gouvernement Johnson.

Sur le Brexit…

En faveur du Brexit depuis toujours, il appuie le projet de loi qui vise à modifier le protocole nord-irlandais, ce que l’Union européenne perçoit comme une violation des engagements britanniques lors du Brexit.

Sur l’Écosse…

Rejette l’idée d’un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise, annoncé pour le début d’octobre 2023 par la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. « Nicola Sturgeon et le SNP [Parti national écossais] sont une menace existentielle à notre Union chérie… »

Le bon et le moins bon

De l’éloquence, le sens du détail, de la rigueur et une bonne connaissance des dossiers. Sans oublier le travail accompli pendant la crise sanitaire. Voilà peut-être ce qui explique sa présence dans cette grande finale conservatrice. L’image de Sunak en a toutefois pris un coup depuis que les médias ont révélé que sa femme, une milliardaire indienne (qu’on dit plus riche que la reine !), ne payait pas d’impôts au Royaume-Uni. Le camp de Liz Truss n’hésite pas à le faire passer pour un modéré, voire un « socialiste », ce qui pourrait lui coûter les votes les plus à droite parmi les membres du parti.

L’avis d’un expert

« Rishi Sunak a une très grande expérience pour ce qui est de gérer une économie en crise », souligne Tim Bale, spécialiste des tories et professeur à l’Université Queen Mary de Londres. « Liz Truss en sait beaucoup moins sur ce plan, si ce n’est les habituels remèdes néolibéraux, qui ne l’amèneront pas très loin si elle gagne. Aucun des deux n’est vraiment un politicien de première classe, mais c’est moins évident dans son cas, parce qu’il semble un peu plus réaliste et a passé les deux dernières années à essayer de gérer le pays au lieu de se pavaner aux quatre coins du monde. »

Sources : France Info, BBC, The Guardian, The Independent, France 24, Bloomberg, Le Matin, Le Monde