Cette semaine marquera les trois mois du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Seule certitude : ça ne sera donc pas une guerre éclair. Aussi atteinte soit-elle, l’Ukraine tient le coup. Qu’est-ce que cette guerre, finalement, et peut-on en espérer une fin prochaine ? Entrevue avec la politologue Maria Popova, qui enseigne la science politique à l’Université McGill et qui se spécialise dans les affaires européennes et l’ère postcommuniste.

Q. Certains avancent que c’est une guerre par procuration entre l’Est et l’Ouest. Est-ce votre avis ?

R. Pas du tout. C’était le cas de la guerre du Viêtnam, où les Soviétiques appuyaient le Nord et les Américains, le Sud. Dans le cas présent, la Russie a envahi l’Ukraine, qui essaie de se défendre et qui a eu du mal à convaincre l’Ouest de l’aider à survivre.

Q. Certains politologues avancent que l’Ukraine – au voisinage pas rassurant – aurait eu tout intérêt à rester parfaitement neutre et à ne pas chercher à se rapprocher de l’Occident ou à se joindre à l’OTAN. Cela aurait-il été plus prudent ? Est-ce que cela aurait pu éviter ce carnage et toutes ses conséquences nationales et mondiales ?

R. D’abord, l’Ukraine est un pays souverain et la Russie n’a pas à lui dire comment se gouverner. Aurait-ce été plus prudent pour l’Ukraine [de ne pas se rapprocher de l’Ouest] ? Non. Les États baltes qui, eux, font partie de l’OTAN n’ont pas été attaqués par la Russie.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill

Par contre, la Géorgie, de même que l’Ukraine, à deux reprises, en 2014 et en 2022, ont été attaquées. Si l’Occident a peur qu’il y ait escalade, cela vaut aussi pour l’autre camp : la Russie connaît le prix qu’il lui faudra payer si elle attaque un pays membre de l’OTAN.

Q. Des critiques s’élèvent disant que le monde entier et les médias n’en ont que pour cette guerre alors que d’autres continuent de sévir ailleurs, souvent dans l’indifférence. Qu’en penser ?

R. Toutes les guerres méritent une grande attention. Mais ce que celle-ci a de particulier, c’est qu’elle est exceptionnellement claire. Elle viole de façon nette le droit international. C’est une guerre de conquête, avec la Russie qui cherche à planter son drapeau là où elle gagne des territoires. Cela représente une menace très sérieuse pour le monde libre : si la Russie l’emporte, le précédent est grave et marquerait le retour des guerres de conquête.

Q. Certains notent que l’Occident, notamment les États-Unis avec leur guerre récente contre l’Irak, est loin d’avoir une feuille de route impeccable.

R. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pays ne peuvent plus mener de guerre de conquête. Ils ne peuvent faire que des guerres préventives ou des guerres défensives. En 2003, les États-Unis étaient en partie motivés par un changement de régime, mais ils ont fait valoir que c’était une guerre préventive rendue nécessaire par la constitution d’un arsenal d’armes de destruction massive [par Saddam Hussein]. Il reste que cette guerre en Irak était illégale sous plusieurs aspects et que ç’a été une énorme erreur des États-Unis.

Q. En février, beaucoup de paires d’yeux se tournaient vers la Chine et se demandaient quelle position serait la sienne. Il n’en est plus beaucoup question…

R. La Chine veut poursuivre son développement économique, auquel cette guerre fait obstacle. D’un point de vue pragmatique, elle ne voit donc pas cette guerre d’un bon œil, mais ce n’est pas que cela. Cette guerre brutale lui déplaît.

Q. Comme le fait valoir tout particulièrement le président de la République française, Emmanuel Macron, il va falloir parler au président russe, Vladimir Poutine, et trouver un chemin vers la paix. Comment tout cela peut-il s’arrêter ?

R. Si l’Ukraine continue de réussir à repousser l’armée russe et qu’elle accepte un règlement par lequel elle reprendrait les territoires qu’elle a perdus depuis février, Poutine pourrait alors sauver la face en prétendant sortir victorieux, avec sa propagande voulant que son but était de « dénazifier » l’Ukraine et que c’est chose faite. Mais si l’Ukraine cherche à reprendre les territoires sous contrôle russe depuis 2014 – qui sont les siens et qu’elle pourrait reprendre en toute légitimité –, les enjeux vont se compliquer parce que Poutine subirait alors une défaite qu’il ne pourrait pas déguiser en victoire.