(Paris) « Ils sont pourris comme une banane pourrie. Ils ont tué mon papa »… Ces mots destinés aux accusés et lus jeudi par une avocate au procès des attentats du 13-Novembre, sont ceux d’un enfant de cinq ans et demi qui n’aura jamais connu son père, assassiné au Bataclan.

Vu son âge, Étienne (le prénom a été modifié) n’était pas présent devant la cour d’assises spéciale de Paris, mais ses mots, aussi puérils qu’émouvants, ont été rapportés par Me Manon Cournac, l’avocate de la famille d’Antoine, son père, une des 90 victimes du Bataclan.

« À l’attention des accusés : ils sont pourris comme une banane pourrie. Ils ont tué mon papa et ça, c’est vraiment pas bien. Il ne faut plus leur donner à manger pour qu’ils meurent. Je veux qu’ils meurent parce qu’ils sont vraiment horribles. Je suis en colère parce qu’ils sont méchants », a dit Étienne, né fin mai 2016.

Sa mère, Aurore, qui était au Bataclan avec son mari le soir du 13-Novembre, était alors enceinte de deux mois et demi.

Les témoignages des rescapés et des proches des 130 victimes des attaques du 13 novembre 2015, qui défilent à la barre depuis mardi, ont rappelé cruellement que les attentats ont littéralement brisé des familles et que nombre d’enfants en ont été les victimes collatérales.

« On avait fait la première échographie deux semaines avant (le 13-Novembre) et appris qu’on attendait un petit garçon », a raconté Aurore dans un texte également lu par son avocate. Aurore a fait partie des onze otages retenus à l’étage du Bataclan par deux des assaillants.

« Vous n’êtes rien »

Les mots d’Aurore racontant « la pire épreuve » de sa vie résonnent dans une salle muette d’effroi. « La perte d’Antoine est tellement puissante qu’elle prend presque toute la place », dit Aurore avant d’ajouter : « malgré cela, j’ai eu la chance que notre embryon s’accroche pour devenir un magnifique bébé ». « La grossesse m’a sauvée », estime-t-elle.

« Votre haine n’entachera jamais notre amour et notre intelligence de cœur. Vous n’êtes rien et nous sommes tout le reste. Nous continuerons de nous battre, jour après jour. Nous continuerons de mettre un pied devant l’autre », insiste-t-elle dans le texte.

Un texte de Marie, mère d’Antoine et grand-mère d’Étienne, est lu également par Me Cournac. « Il ressemble à son père », dit Marie en parlant de son petit-fils. « Le bel enfant est heureux, épanoui, curieux et sociable… Il est vivant et Antoine l’est à travers lui ».

Une mère et son fils viennent à leur tour à la barre.

Boris (le prénom a été changé) avait 9 ans quand son père Mathieu a été tué au Bataclan.

T-shirt blanc et les yeux rougis, l’adolescent ne parle pas. Il soutient sa mère. Elle raconte le matin du 14 novembre quand il a fallu le réveiller sans l’affoler. « J’ai pris sur moi de lui préparer le petit-déjeuner le plus calmement possible ».

Convoquée à l’Institut médico-légal (IML) pour reconnaître le corps de Mathieu, dont elle était séparée, elle lui promet de « ne pas s’inquiéter » et qu’elle « prendra soin » de leur fils.

« J’ai le sentiment d’avoir couru comme une poule sans tête les quatre mois » suivants la mort de Mathieu. « Tous les matins au moment du réveil, dit-elle la voix brisée, j’avais l’espoir pendant quelques dixièmes de seconde que j’étais en train de me réveiller d’un cauchemar ». Le sentiment dominant est l’angoisse. « L’angoisse que Boris meure à son tour ». « Il était impossible de perdre mon fils après avoir perdu son père ».

Cette peur est si prégnante qu’elle quittera Paris, son travail, ses amis, pour s’installer avec Boris dans un petit village du Tarn. « J’étais prête à tout pour mettre mon fils à l’abri ».

« J’aimerais un jour arriver à parler de Mathieu sans pleurer systématiquement. J’ai la chance de voir notre fils grandir. Pas lui. Et cette injustice me révolte », dit-elle.

Les derniers témoignages des parties civiles sont prévus vendredi avant que leurs avocats commencent leurs plaidoiries lundi.