(Paris) Victoire sans appel pour Emmanuel Macron.

Alors qu’on attendait un résultat serré, le président sortant a été réélu dimanche soir par la marge confortable de 58,5 % des voix contre 41,5 % pour sa rivale Marine Le Pen. Une élection marquée par un taux d’abstention important et une progression historique de l’extrême droite en France.

Devant ses militants réunis au Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel, Emmanuel Macron a livré un discours humble et rassembleur, entouré d’enfants et de sa femme, Brigitte Macron, sur fond de l’Ode à la joie de la 9e Symphonie de Beethoven, l’hymne européen.

Se posant en « président de tous », il a tendu la main aux électeurs de Mme Le Pen, estimant que « la colère et les désaccords qui les ont conduits à voter pour ce projet doivent aussi trouver une réponse », et s’est dit « obligé » envers ceux et celles qui avaient voté pour lui par dépit..

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Emmanuel Macron et sa femme, Brigitte Macron

Le ton se voulait sobre, loin du triomphalisme. Une façon, peut-être, de casser cette image d’arrogance qui lui colle à la peau et le rend si clivant.

« Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève », a assuré le président sortant, appelant à être « bienveillants et respectueux » dans un pays « pétri de tant de doutes, tant de divisions ».

À quelques kilomètres de là, dans le 16e arrondissement, Marine Le Pen semblait loin d’être dépitée, forte d’une défaite relativement honorable. Qualifiant sa performance « d’éclatante victoire », Marine Le Pen a rallié ses partisans avec un discours de revanche, et appelé à la « bataille » des élections législatives en juin « avec tous ceux qui ont eu le courage de s’opposer à Emmanuel Macron » et « ont la France chevillée au corps ».

Éliminé de peu au premier tour, le leader de La France insoumise (gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon, s’est exprimé dans la foulée, réitérant son souhait de former un bloc de gauche en vue des législatives. Tout comme Éric Zemmour, quatrième du premier tour, qui a de nouveau appelé à une alliance des droites lors des mêmes élections, qualifiées de « troisième tour » en France.

Faire barrage à Le Pen

Au-delà du résultat, sans ambiguïté, cette élection restera celle d’une abstention spectaculaire de 27,8 %, un taux inédit pour un second tour depuis 1969 (31,3 %). Par comparaison, la non-participation avait été de 25,4 % en 2017, de 19,7 % en 2012 et de 16 % en 2007.

Ces chiffres confirment une tendance de plus en plus lourde en France, où l’électorat ne cesse de se démobiliser, par cynisme, désillusion ou lassitude face au système politique.

  • Les partisans d’Emmanuel Macron célébraient même avant la confirmation de sa victoire...

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    Les partisans d’Emmanuel Macron célébraient même avant la confirmation de sa victoire...

  • ... Les résultats n’ont pas provoqué la même joie chez les partisans de Marine Le Pen rassemblés à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, fief électoral de la candidate du Rassemblement national.

    PHOTO JOHANNA GERON, REUTERS

    ... Les résultats n’ont pas provoqué la même joie chez les partisans de Marine Le Pen rassemblés à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, fief électoral de la candidate du Rassemblement national.

  • Au pied de la tour Eiffel, quelque 2000 Français suivaient la soirée électorale et attendaient le discours de victoire d’Emmanuel Macron.

    PHOTO CHRISTOPHE ENA, ASSOCIATED PRESS

    Au pied de la tour Eiffel, quelque 2000 Français suivaient la soirée électorale et attendaient le discours de victoire d’Emmanuel Macron.

  • Le président sortant, maintenant réélu, a voté au Touquet, dans le nord de la France, et en a profité pour embrasser un électeur.

    PHOTO GONZALO FUENTES, ASSOCIATED PRESS

    Le président sortant, maintenant réélu, a voté au Touquet, dans le nord de la France, et en a profité pour embrasser un électeur.

  • Marine Le Pen n’y est pas allée d’un baiser, mais plutôt d’un classique égoportrait avec cette femme après avoir enregistré son vote à Hénin-Beaumont.

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    Marine Le Pen n’y est pas allée d’un baiser, mais plutôt d’un classique égoportrait avec cette femme après avoir enregistré son vote à Hénin-Beaumont.

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En outre, l’affiche de ce second tour ne suscitait pas un grand enthousiasme, du moins dans le 13e arrondissement de Paris, où se trouvait La Presse. Si on votait pour Macron sans hésiter, c’était plutôt pour faire barrage à Marine Le Pen et non par adhésion au programme et à la personnalité du président sortant.

« J’ai voté pour lui la mort dans l’âme », a lancé Marie Claire, septuagénaire de mauvaise humeur, en sortant du bureau de scrutin n65 de la rue Arago. « On l’a vu à l’œuvre pendant cinq ans et on se retrouve dans la même situation. »

Je le trouve prétentieux. Je déteste sa tête de gendre idéal. J’ai envie de lui filer des claques. Mais avec ce qu’il y avait en face, je n’avais pas le choix.

Marie Claire, au sujet d’Emmanuel Macron

Un peu plus loin, Céline, fin vingtaine, tenait le même discours. « Je n’ai pas voté pour quelqu’un en particulier. J’ai voté pour que quelqu’un en particulier ne soit pas élu, a-t-elle dit. Macron m’a déçue, mais je ne peux pas voter pour l’extrême droite. Vous comprenez ce que je veux dire ? Dommage que le choix ait été aussi difficile à faire. »

Pour Frank, c’était encore plus direct : « Macron est le moins pire des deux », a-t-il tranché en remisant son masque chirurgical.

Rejet majoritaire… mais quand même pas unanime. Certains – moins nombreux – votaient aussi par adhésion au programme progressiste, libéral et pro-européen du président sortant. C’était le cas d’Olivier, qui a voté Macron au premier tour comme au second.

« Il a fait des erreurs, mais qui n’en fait pas ? Il n’a pas été un si mauvais président. Pour moi, il a été le meilleur depuis Mitterrand », a-t-il affirmé.

Comme la grenouille dans une casserole

Pour le politologue Thomas Guénolé, connu pour son engagement à gauche, l’histoire de cette soirée n’est pourtant pas l’abstention, mais le score du Rassemblement national, qui passe de 33 % il y a cinq ans à 41 % aujourd’hui. Cette progression est certes moins importante que les chiffres annoncés par les sondages, mais elle devrait selon lui servir d’avertissement.

« C’est un peu comme la grenouille qui est dans une casserole d’eau, dit-il. Comme c’est graduel, elle ne réagit pas, elle s’habitue et elle finit par être ébouillantée. J’ai l’impression que c’est ce qui arrive à la démocratie française. Nous sommes en train de nous habituer à la vague montante du néo-fascisme. »

Emmanuel Macron, 44 ans, est le premier président français à être réélu pour un second mandat en 20 ans, depuis Jacques Chirac en 2002 – face au père de Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen.

Il aura pour tâche de rassembler des Français divisés et de répondre à une colère très prégnante depuis les manifestations des gilets jaunes de 2018 et 2019, qui n’a jamais été véritablement réglée.

Il devra aussi répondre aux angoisses suscitées par les successions de crises, de la pandémie de COVID-19 à la guerre en Ukraine.

Lors de son dernier grand rassemblement à Marseille, il y a une semaine, M. Macron, très critiqué sur son bilan vert, a promis qu’un nouveau quinquennat sous son règne serait « écologique ou ne serait pas », et promis un renouvellement de la politique.

Souvent qualifié de « président des riches », le président a multiplié les gestes envers cet électorat de gauche, semblant prêt à des concessions sur certains points, et notamment sa controversée et emblématique réforme des retraites, qu’il n’a pas réussi à mettre en œuvre au cours de son premier mandat.

La suite aux élections législatives du 12 et du 19 juin.

Avec l’Agence France-Presse

Emmanuel Macron en quelques dates

  • 21 décembre 1977 : naissance à Amiens
  • 2008 : banquier d’affaires, puis associé-gérant à la Banque Rothschild et Compagnie
  • 2012 : secrétaire général adjoint de l’Élysée sous François Hollande
  • 2014 : ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Son projet de loi « croissance » (dispositions sur les professions réglementées, le travail dominical, le permis de conduire, le marché des autocars…) est adopté en 2015.
  • 16 novembre 2016 : annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2017, après avoir lancé en avril son mouvement politique « En Marche ! », puis démissionne du gouvernement en août
  • 7 mai 2017 : arrivé en tête (24 %) du premier tour, il est élu au second tour (66,1 %) président de la République face à Marine Le Pen.
  • Novembre 2018 : déjà fragilisé par l’affaire Benalla à l’été 2018, il doit affronter la crise des gilets jaunes, qui se prolonge tout au long de l’année 2019.
  • Mars 2020 : « Nous sommes en guerre » face à la COVID-19, lance Emmanuel Macron, en décrétant un premier confinement pour affronter la pandémie, qui bouleverse son agenda. Son projet de réforme des retraites, fortement contesté, est notamment suspendu.
  • 24 avril 2022 : arrivé en tête (27,85 %) du premier tour de la présidentielle, il est réélu au second tour (autour de 58 % des voix) président de la République face à Marine Le Pen.

Ils et elles ont dit

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau

J’ai hâte de poursuivre notre travail ensemble sur les enjeux importants pour les Canadiens et les Français – de la défense de la démocratie à la lutte aux changements climatiques et à la croissance économique pour la classe moyenne.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault

J’ai hâte de poursuivre le travail que nous avons entamé. Je suis fier de la relation que le Québec a avec la France et de l’amitié qui unit nos nations.

François Legault, premier ministre du Québec

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Joe Biden, président des États-Unis

Je suis impatient de poursuivre notre étroite coopération, notamment pour soutenir l’Ukraine, défendre la démocratie et contrer les changements climatiques

Joe Biden, président des États-Unis

PHOTO JESSICA TAYLOR, ARCHIVES REUTERS

Boris Johnson

La France est l’un de nos alliés les plus proches et les plus importants. Je suis heureux de continuer à travailler ensemble sur les sujets clés pour nos deux pays et pour le monde.

Boris Johnson, premier ministre du Royaume-Uni

PHOTO LISI NIESNER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Olaf Scholz, chancelier de l’Allemagne

Vos électeurs d’aujourd’hui ont également envoyé un engagement fort en faveur de l’Europe. Je suis heureux que nous poursuivions notre bonne coopération !

Olaf Scholz, chancelier de l’Allemagne

PHOTO KACPER PEMPEL, REUTERS

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne

Je me réjouis de pouvoir continuer notre excellente coopération. Ensemble, nous ferons avancer la France et l’Europe.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne

PHOTO EFREM LUKATSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Charles Michel, président du Conseil européen

En cette période tourmentée, nous avons besoin d’une Europe solide et d’une France totalement engagée pour une UE plus souveraine et plus stratégique.

Charles Michel, président du Conseil européen

PHOTO MARTIN BUREAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Yannick Jadot, candidat du parti Europe Écologie Les Verts au premier tour de la présidentielle

Le pire est évité, mais le pays est plus divisé que jamais.

Yannick Jadot, candidat du parti Europe Écologie Les Verts au premier tour de la présidentielle

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jean-Luc Mélenchon sortant de l’isoloir après avoir voté dimanche

Pour ce second tour, Mme Le Pen et M. Macron représentent à peine plus du tiers des électeurs inscrits. Mme Le Pen est battue… M. Macron est le président le plus mal élu de la 5e République.

Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise, défait au premier tour