L’armée russe a affirmé vendredi vouloir désormais limiter son offensive sur l’est de l’Ukraine. Une décision qui pourrait s’expliquer par une résistance ukrainienne plus forte qu’anticipée, estiment des experts.

Les forces russes ont affirmé vendredi que « les capacités de combat des forces ukrainiennes avaient été réduites de manière importante », ce qui leur permet de concentrer la majorité de leurs efforts sur l’objectif principal : la libération du Donbass. Cette région de l’est de l’Ukraine est partiellement occupée par les séparatistes soutenus par la Russie depuis 2014.

Ce changement d’objectif pourrait s’expliquer par une offensive russe qui ne se déroule pas comme prévu, estiment plutôt les experts consultés par La Presse. « Poutine disait dans les trois dernières semaines qu’il voulait libérer toute l’Ukraine. Ça démontre clairement une recalibration des objectifs de l’invasion », indique Marie-Joëlle Zahar, chercheuse au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

« Les Ukrainiens sont mobilisés à se défendre farouchement, et les troupes russes ont énormément de difficulté à faire des gains, surtout dans les grandes villes », observe de son côté Richard Giguère, brigadier-général retraité des Forces armées canadiennes et expert à l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval. Il estime que l’objectif de la Russie de concentrer son offensive sur l’est de l’Ukraine est « beaucoup plus réaliste ».

PHOTO EFREM LUKATSKY, ASSOCIATED PRESS

Des pompiers éteignent un incendie causé par une frappe russe à Kharkiv.

Michel Fortmann, professeur de politique étrangère et de sécurité nationale à l’Université de Montréal, abonde dans son sens. « Les Russes sont pris devant deux grandes villes de plusieurs millions d’habitants, Kyiv et Kharkiv. Prendre immeuble par immeuble, c’est extrêmement coûteux. Poutine résout le problème en retirant ses forces du nord de l’Ukraine et en gardant seulement la bande de territoire qui l’intéresse », dit-il.

« L’Ukraine tiendra bon »

Selon un haut responsable de la défense américaine, l’avancée militaire de la Russie sur Kyiv, capitale de l’Ukraine, semblait s’être arrêtée vendredi. Il a déclaré que la Russie semblait pour le moment se concentrer davantage sur les combats pour le contrôle du Donbass. « Kyiv est sous la protection sûre de notre armée. Cela veut dire que l’Ukraine tiendra bon », a écrit sur Facebook le ministre de la Défense, Oleksiï Reznikov.

Toujours selon Washington, les forces ukrainiennes ont lancé une contre-offensive sur Kherson, la seule grande ville conquise entièrement par la Russie. « Les Ukrainiens tentent de reprendre Kherson », a déclaré un haut responsable.

À Vinnytsia, dans le centre du pays, le centre de commandement des forces aériennes ukrainiennes a été frappé vendredi par six missiles. « Certains ont été abattus par la défense antiaérienne. Les autres ont touché plusieurs bâtiments, causant des dommages importants », a annoncé le commandement des forces aériennes sur Telegram.

Si un centre de commandement et de contrôle est touché, la réponse militaire peut être déstructurée, indique Marie-Joëlle Zahar. « Cela dit, il y a de plus en plus de centres de commandement mobiles dans les guerres contemporaines, et donc la possibilité que ce centre de commandement soit rapidement recréé ailleurs est assez grande », précise-t-elle.

Évacuation de Marioupol à venir

Sur le terrain, Marioupol a annoncé qu’environ 300 personnes avaient péri dans le théâtre bombardé le 16 mars. Des centaines de personnes, « principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées », s’étaient réfugiées dans ce bâtiment, a rappelé la mairie. Lorsque le théâtre a été frappé, une énorme inscription « ENFANTS » était affichée à l’extérieur en russe, afin d’être visible du ciel.

Plus de 2000 civils ont été tués dans cette ville assiégée, selon la municipalité, et quelque 100 000 de ses habitants y sont toujours bloqués, a affirmé le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky. Vendredi soir, le président de la République française, Emmanuel Macron, a annoncé que la France, la Turquie et la Grèce mèneraient une « opération humanitaire » d’évacuation de civils de Marioupol « dans les tout prochains jours ».

PHOTO ALEKSEY FILIPPOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des gens ayant fui Marioupol arrivent à la gare de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine.

Les États-Unis et d’autres pays ont également accéléré leurs transferts d’armes et d’équipement à l’Ukraine. La veille, M. Zelensky avait plaidé auprès des alliés occidentaux pour des avions, des chars, des roquettes, des systèmes de défense aérienne et d’autres armes.

Les négociations stagnent

Vendredi, les négociations russo-ukrainiennes semblaient patiner. « Sur les principales [questions] politiques, nous faisons du surplace », a déclaré Vladimir Medinski, négociateur en chef russe.

Les discussions sont « très difficiles », a renchéri le ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, Dmytro Kouleba, niant tout « consensus » pour le moment avec Moscou.

Par ailleurs, Moscou a reconnu la mort de 1351 de ses soldats depuis le début du conflit. La veille, l’OTAN estimait plutôt les pertes de soldats russes entre 7000 et 15 000. « C’est une tactique aussi vieille que le monde, dans les conflits armés, de jouer sur le nombre, de minimiser ses propres pertes et d’essayer d’augmenter celles de l’adversaire », dit Mme Zahar.

En un mois de guerre, des milliers d’Ukrainiens ont été tués, 6,5 millions ont dû quitter leurs maisons, dont plus de 4300 ont été détruites, selon un récent bilan du président Zelensky. Le parquet général a fait état de son côté d’au moins 135 enfants tués et de 184 autres blessés.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press