(Paris) La campagne par procuration, ou presque : pour l’instant sans programme, ni rassemblements, Emmanuel Macron distille ses propositions au compte-gouttes, enchaîne des réunions sans la presse et envoie ses ministres sur le terrain, au risque du mélange des genres.

Mercredi soir, dans une salle du sud-est parisien,  quelque trois cents parlementaires et figures de la majorité ont applaudi leur champion, venu pour un discours d’une grosse trentaine de minutes et autant de temps consacré à serrer des mains et enchaîner les égoportraits.  

La réforme des retraites ? « Ambitieuse pour un modèle social qui tienne », a exhorté sans en dire davantage le président-candidat, selon les propos rapportés par les participants puisque la presse n’était pas conviée.  

Mais pas un mot d’Emmanuel Macron quant à la « fuite » sortie une heure plus tôt dans le quotidien Les Échos, qui expliquait que le prétendant à sa réélection envisageait de faire passer l’âge légal de fin de carrière à 65 ans. Il faudra attendre jeudi matin une interview sur RTL de Gabriel Attal pour confirmer l’information.

Était-ce son rôle ? « Le porte-parole du gouvernement parle du programme du candidat Macron : l’Élysée est-il le nouveau QG de campagne ? », s’est interrogée la sénatrice LR Valérie Boyer, à l’unisson de plusieurs responsables de l’opposition.

Car si l’équipe œuvrant à la réélection du président bûche depuis des mois, aucun ministre ne travaille officiellement pour cette cellule.

L’idée de débarquer du gouvernement Gabriel Attal, Sébastien Lecornu, ou Julien Denormandie - un temps imaginé pour diriger la campagne, poste toujours pas pourvu - a par ailleurs fait long feu, tant l’exécutif entend se montrer mobilisé dans la crise internationale.

Jeudi, le même Gabriel Attal devait tenir une réunion publique à Lyon quand sa collègue chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher était attendue dans l’Oise. Le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt, est annoncé vendredi dans la Manche, puis le lendemain dans le Rhône.

« On est quelques-uns à être mobilisés, chacun pouvant porter la parole sur son champ », reconnaît un ministre, en précisant que l’exercice doit être limité à des « petites salles ».

Samedi, c’est le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui sera à Marseille, alors qu’Emmanuel Macron devait tenir dans la cité phocéenne son premier meeting de campagne.  L’idée a été abandonnée : « Un meeting, c’est la fête, c’est l’enthousiasme… Avec l’actualité internationale, ça n’est pas possible », constate le Marseillais Renaud Muselier, patron de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et rallié à la candidature Macron.

La tentation du surplomb

Lundi, quatre jours après une courte « lettre » parue dans la presse régionale sans propositions de mesures concrètes, c’est lors d’un « débat » supposément « citoyen » -dont aucun des participants ne s’est véritablement montré hostile au président-que le candidat avait annoncé sa volonté de supprimer la redevance audiovisuelle.

Une stratégie du compte-gouttes, alors qu’un programme est promis à être envoyé aux Français la semaine prochaine ? « Il y a un appétit pour quelque chose de plus substantiel, il faut arriver à nourrir avec plus », trépigne un cadre macroniste qui appelle « à mettre du lourd sur la table ».

En creux, c’est la tentation du surplomb qui est redoutée, ou le pari d’une campagne a minima tant sur le fond que la forme, alors que le sortant est plus que jamais le grand favori des sondages.

Le président a voulu fermement s’en défendre : « Ne croyez pas au discours ambiant et ne vous installez pas dans celui-ci : la pire des choses serait qu’une forme d’arrogance et d’incertitude s’installe », a-t-il tonné mercredi soir devant les parlementaires.

En décidant qu’il ne débattrait pas avec ses concurrents avant le premier tour, Emmanuel Macron s’est justifié en faisant valoir qu’aucun de ses prédécesseurs ne s’était livré à un tel exercice.

Mais François Mitterrand en 1988, Jacques Chirac en 2002 et Nicolas Sarkozy en 2012 ont tous tenu des grands rassemblements dès leur entrée en campagne.  

La crise ukrainienne empêche-t-elle définitivement Emmanuel Macron de s’y plier ? « Ça me semble difficile de n’en faire aucun, mais pas impossible de n’en faire qu’un », estime un ministre, quand un fidèle du président résume : « Garder la possibilité de bouger jusqu’à la dernière minute, en avançant de manière confidentielle » et « avoir des éventualités en tête, en se gardant la liberté de mouvement absolue ».