(Kyiv) Moscou a promis jeudi l’ouverture quotidienne de couloirs humanitaires pour permettre aux Ukrainiens fuyant les combats de gagner la Russie, alors même que son armée poursuivait sa manœuvre d’encerclement de Kyiv.

L’Ukraine, où la population des villes assiégées par les troupes russes est obligée de vivre terrée en raison des bombardements, réclame pour sa part la mise en place de passages sécurisés en vue des évacuations de civils à l’intérieur de ses frontières.

« Nous annonçons officiellement que des couloirs humanitaires pour la Fédération de Russie seront désormais ouverts unilatéralement, sans coordination, chaque jour à partir de 10 h du matin », tandis que ceux allant « dans d’autres directions seront négociés avec la partie ukrainienne », a déclaré dans la soirée le ministère russe de la Défense.

Une décision rendue publique peu de temps après la fin des premiers pourparlers directs à haut niveau entre les belligérants depuis le début, le 24 février, de l’invasion de l’Ukraine.

Mais dans la soirée, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé l’armée russe d’une « attaque » de char sur un couloir humanitaire vers la ville encerclée de Marioupol, la qualifiant d’acte de « terreur effrontée, de la part de terroristes expérimentés ».

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Il a aussi ajouté qu’environ 100 000 personnes avaient quitté ces deux derniers jours d’autres villes ukrainiennes en proie aux combats, dont 40 000 personnes rien que jeudi, via des couloirs humanitaires.

Sur le terrain, après avoir auparavant atteint les faubourgs nord et ouest de Kyiv, des chars russes sont arrivés jeudi à proximité de son entrée nord-est.

Des journalistes de l’AFP ont vu des colonnes de fumée s’échapper du village de Skybyn, à quelques centaines de mètres du dernier barrage des forces ukrainiennes sur l’axe menant à la capitale dans cette zone.

En fin de matinée, une pluie de roquettes russes Grad s’est abattue sur la localité déserte de Velyka Dymerka, à environ cinq kilomètres des limites de Kyiv, dont certaines ont atterri à une vingtaine de mètres de l’équipe de l’AFP.

Selon l’état-major ukrainien, les forces russes, tout en continuant leur « opération offensive » pour encercler la capitale, attaquent sur d’autres fronts, dans l’est, les villes d’Izioum, de Petrovske, de Hrouchouvakha, de Soumy et d’Okhtyrka ou dans les régions de Donetsk et de Zaparojie.

Pas de cessez-le-feu

De leur côté, les ministres russe et ukrainien des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Dmytro Kuleba ont campé sur leurs positions au cours de leurs discussions sous les auspices de leur homologue turc Mevlut Cavusoglu à Antalya, une station balnéaire du sud de la Turquie prisée des touristes russes.

« Nous avons évoqué un cessez-le-feu, mais aucun progrès n’a été accompli en ce sens », a déclaré M. Kuleba.

Le chef de la diplomatie ukrainienne a révélé que Sergueï Lavrov lui avait assuré que la Russie « allait continuer (son) agression jusqu’à ce que nous acceptions sa demande de capituler ». Mais « l’Ukraine ne s’est pas rendue, ne se rend pas et ne se rendra pas », a-t-il clamé.

Le ministre russe, selon lequel la Russie ne prévoit « pas d’attaquer d’autres pays » et n’a « pas attaqué l’Ukraine », s’est quant à lui prononcé pour la poursuite du dialogue avec l’Ukraine, mais avant tout via des envoyés des deux camps en Biélorussie, donc à un niveau inférieur.

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Sergueï Lavrov

Trois sessions de pourparlers entre négociateurs russes et ukrainiens ont déjà eu lieu dans cet État allié de Moscou, depuis le début de l’invasion, aboutissant à plusieurs cessez-le-feu locaux et à l’ouverture au compte-gouttes de couloirs humanitaires pour évacuer des civils de villes encerclées.  

Mais les Russes ont été à plusieurs reprises accusés d’avoir violé ces accords.

L’Ukraine et la Russie sont par ailleurs « prêtes » à discuter pour garantir la sécurité des sites nucléaires ukrainiens, chaque jour plus compromise par la guerre, a déclaré jeudi le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le gendarme onusien du nucléaire. Cette annonce intervient alors que Kyiv « a perdu toute communication » avec la centrale de Tchernobyl, selon des informations reçues par l’AIEA.

Les dirigeants français et allemand Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont, dans un entretien téléphonique avec M. Poutine, « insisté sur le fait que toute solution à la crise devait passer par des négociations entre l’Ukraine et la Russie » et exigé « un cessez-le-feu immédiat ».

L’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder, critiqué pour ses liens étroits avec la Russie, était jeudi à Moscou pour un « effort de médiation » à la demande d’un responsable ukrainien, selon le site d’information Politico citant des « sources bien informées ».

Bombardements

Pour l’heure, l’armée russe maintient son siège des grandes villes et une campagne de bombardements, à l’image de celui qui a touché mercredi un établissement abritant un hôpital pour enfants et une maternité à Marioupol, un port stratégique sur la mer d’Azov (sud-est) assiégé par les forces russes depuis dix jours.

Trois personnes, dont une fillette, y ont péri, a annoncé dans un nouveau bilan jeudi la mairie, qui faisait état la veille de 17 blessés.  

L’attaque de mercredi a suscité une vague de condamnations internationales et les États-Unis ainsi que leurs alliés européens envisageaient, en réponse aux atrocités semblant « s’intensifier » contre les civils ukrainiens, des sanctions supplémentaires contre la Russie.

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« La prétendue frappe aérienne est une mise en scène totale à des fins de provocation afin d’entretenir l’agitation antirusse du public occidental », a rétorqué le ministère russe de la Défense.  

Au total, depuis le début de l’invasion, 71 enfants ont été tués et plus de 100 blessés en Ukraine, a déclaré jeudi Liudmyla Denisova, chargée des droits de la personne auprès du Parlement ukrainien.

La moitié de la population de l’agglomération de Kyiv a fui en deux semaines, a annoncé son maire, Vitali Klitschko, affirmant que, désormais, « un peu moins de deux millions d’habitants » s’y trouvaient.

Le FMI pessimiste

Les dégâts provoqués par la guerre sont pour l’instant évalués à 100 milliards de dollars par l’Ukraine.

Face à cette situation, les Américains et leurs alliés s’efforcent d’aider ce pays tout en évitant l’implication militaire directe des États membres de l’OTAN.

Les États-Unis, estimant jeudi que l’Ukraine n’avait pas vraiment besoin d’avions de combat pour contrer les attaques russes, ont envisagé de lui fournir davantage de systèmes de défense sol-air.

En Turquie, M. Lavrov a jugé « dangereuse » la fourniture d’armes par les Occidentaux aux Ukrainiens, dénonçant en particulier l’envoi de missiles sol-air portables.

S’exprimant à l’occasion d’un sommet de deux jours des 27 à Versailles, près de Paris, Emmanuel Macron a jugé que l’Union européenne allait « changer plus vite et plus fort sous le coup de la guerre », tandis que, de Varsovie, la vice-présidente américaine Kamala Harris a considéré que l’OTAN était devenue « plus forte » et la Russie « plus faible ».

Il n’existe cependant « pas de procédure rapide d’adhésion à l’UE », a rappelé le premier ministre néerlandais Mark Rutte, pour lequel l’intégration de l’Ukraine est une « question de long terme ».

En attendant, l’accueil de millions de réfugiés ukrainiens est un « très, très gros défi », mais les pays membres de l’Union européenne font preuve d’une solidarité « sans précédent », a noté la commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson.

Après deux semaines de conflit, les sanctions occidentales continuent de pleuvoir sur la Russie, avec notamment le gel au Royaume-Uni des avoirs de sept oligarques russes, dont Roman Abramovitch, une décision qui implique la suspension de la vente du club de football de Chelsea.

Facebook a de son côté annoncé jeudi faire des exceptions à son règlement sur les contenus violents et haineux, en ne supprimant pas des messages hostiles à l’armée et aux dirigeants russes.

Pour faire face aux sanctions, Moscou a interdit l’exportation de certaines marchandises et d’équipements précédemment importés.

« Toutes nos obligations en matière d’approvisionnements énergétiques » seront remplies, a néanmoins promis Vladimir Poutine.

Les États du G7 ont quant à eux appelé les pays producteurs de gaz et de pétrole à « augmenter leurs livraisons » pour faire face à la hausse des prix de l’énergie et aux risques de pénuries.

Conséquence de la guerre en Ukraine, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé qu’il allait abaisser ses prévisions de croissance mondiale, prévenant en outre qu’un défaut de paiement de la Russie n’était plus « improbable ».