Inspiré par les camionneurs canadiens, un nouveau mouvement de colère vient de naître en France. Les gilets jaunes seraient-ils retour ?

(Bordeaux) Des klaxons. Des sirènes. Des drapeaux bleu-blanc-rouge. Des cris de ralliement crachés au mégaphone. Des affiches avec les slogans « Antipass », « Liberté pour toujours » ou « Je vous emmerde ».

Il y a de l’électricité dans l’air dans le stationnement de la halte routière de Pessac, en bordure de l’autoroute A63 près de Bordeaux. Des dizaines de voitures, de motorisés et de poids lourds se sont réunis pour faire la fête à la brunante, avant de se lancer à l’assaut de Paris, où une grosse manifestation est prévue samedi pour dénoncer l’imposition du passeport vaccinal contre la COVID-19.

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Yvon Castel

Ils ne s’en cachent pas : même si la majorité d’entre eux ne sont pas des routiers professionnels, leur « convoi de la liberté » se base sur le modèle des camionneurs canadiens qui paralysent Ottawa depuis près de deux semaines. « Ah les cousins ! C’est eux qui ont mis le feu ! », lance Yvon Castel, admiratif, derrière sa grosse moustache de Gaulois. « Informez les Canadiens que la France est avec eux », ajoute un peu plus loin Thierry Bernardin, presque ému, en brandissant une pancarte anti-Macron.

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Thierry Bernardin

Ce cortège improbable, lancé depuis mercredi depuis le sud de la France, s’est organisé à travers les réseaux sociaux de façon aussi rapide que spontanée.

Ils ne se connaissent pas, mais sont unis par une même cause. Il y a ceux qui foncent vers la capitale et il y a ceux qui sont venus les soutenir, faute de pouvoir faire la révolution eux-mêmes. Des habitants du coin offrent le gîte pour la nuit, d’autres distribuent de la soupe, des bouteilles d’eau, de la bière ou des applaudissements.

L’atmosphère se veut bon enfant, mais on sent que la colère pourrait exploser à tout moment. La frontière semble mince entre la bonne humeur et le doigt d’honneur.

Leurs revendications ? Les mêmes qu’au Canada, ou à peu près.

Tout le monde ici conteste passionnément les restrictions sanitaires, et plus spécialement le passeport vaccinal, exigé partout en France pour entrer dans les bistrots, les restos, les salles de spectacls, les transports longue distance, de même que pour certaines professions.

Pour Hélène, une travailleuse de la santé qui a été suspendue parce qu’elle n’était pas vaccinée, l’État français a tout simplement dépassé les bornes. « On bafoue les droits de l’homme », lance celle qui préfère taire son nom de famille.

Il faut dire que dans le convoi de la liberté, on ne croit pas vraiment à la COVID-19. Pour la plupart, vaccinés ou pas, la crise sanitaire est surtout prétexte au contrôle de la population, une fiction au service d’une dictature à renverser d’urgence.

« Les gens en ont assez de la doxa gouvernementale qui porte le mensonge sur les bienfaits du pseudo-vaccin, lance Michel Murat, chemise à carreaux et boule à zéro, heureux propriétaire d’une fourgonnette Renault tout équipée. Ça ne peut pas continuer comme ça, sinon ils vont se révolter. Il faut dire stop ! On ne veut pas de guerre civile, mais on veut être entendus ! »

Comme les gilets jaunes

Ce rassemblement festif et populaire n’est pas sans rappeler le début de la crise des gilets jaunes, quand des centaines d’individus s’étaient retrouvés sur les ronds-points en octobre 2018. Certains se revendiquent toujours du mouvement et se réjouissent de le voir ressusciter à la faveur de la crise sanitaire.

Les revendications des gilets jaunes n’ont d’ailleurs pas disparu. Si le passeport vaccinal est l’enjeu principal de ce convoi de la liberté, beaucoup continuent à dénoncer la vie chère, le pouvoir d’achat, la hausse du prix de l’essence, du diesel, du gaz et la corruption chez les élites.

« C’est un ras-le-bol général », résume Didier Magne, qui est venu de Bordeaux avec sa conjointe, dans l’espoir de sauter dans un camion jusqu’à Paris.

On leur signale qu’une élection présidentielle est prévue dans deux mois en France, et qu’ils auront alors tout le loisir d’exprimer leurs opinions.

Vrai qu’ils rêvent tous de dégommer Emmanuel Macron, et encore plus depuis que celui-ci a déclaré vouloir « emmerder » les antivax. Mais ils veulent se faire entendre tout de suite et profiter de l’élan créé par les camionneurs nord-américains.

« De toute façon, même si on vote, pensez-vous vraiment que les parlementaires vont nous écouter ? », argumente Michel Murat, de moins en moins festif et de plus en plus rageur.

Encore trop tôt pour prédire la suite du mouvement. Mais le scénario d’une montée en puissance peut inquiéter le gouvernement à quelques semaines de la présidentielle et des législatives. Alors qu’il semble se sortir lentement mais sûrement de la crise sanitaire, Emmanuel Macron n’a sans doute pas envie d’avoir une nouvelle révolte populaire sur les bras, lui qui attend toujours une accalmie pour annoncer officiellement sa candidature.

Une éventuelle levée du passeport vaccinal « fin mars, début avril », annoncée mercredi par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, pourrait contribuer à faire baisser la tension, tandis que les indicateurs continuent de baisser en France, avec moins de 200 000 cas positifs mercredi, une première depuis le mois de janvier.

Mais pour l’heure, les convoyeurs de la colère semblent déterminés à se rendre jusqu’à Paris, en dépit de l’interdiction de manifester annoncée jeudi par la préfecture de police, qui a mis en place un « dispositif spécifique […] pour empêcher les blocages d’axes routiers, verbaliser et interpeller les contrevenants », qui risquent deux ans d’emprisonnement en cas d’entrave à la circulation

Le cortège doit également se rendre lundi à Bruxelles, devant le siège de l’Union européenne. À l’instar de Paris, les autorités belges ont annoncé que le convoi de la liberté n’aurait pas accès au centre-ville, faute d’autorisation officielle.