(Paris) Au procès du 13-Novembre, les témoignages de ceux qui ont enquêté sur ces attentats « hors norme » ont impressionné la cour d’assises spéciale. Leur coordonnateur Philippe Chadrys revient pour l’AFP sur leur « travail colossal », « aride » et éprouvant psychologiquement.

Alors patron de la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire, le commissaire divisionnaire Chadrys est alerté peu après que le premier « kamikaze » a déclenché sa ceinture explosive aux abords du Stade de France. Très vite, tous ses agents reviennent au service, « d’initiative » pour la plupart, se souvient-il.

Vers 23 h, alors que l’assaut du Bataclan n’a pas encore eu lieu, la SDAT, cosaisie avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la brigade criminelle de Paris, est désignée service coordinateur de l’enquête.

« Jamais un attentat de cette ampleur n’avait eu lieu en France », poursuit le commissaire. « Il faut s’organiser. Il y a une grande confusion. On ne sait pas alors combien de scènes de crime nous aurons à traiter ».

Il sait déjà que la charge de travail sera « démesurée ».

Les chiffres sont vertigineux : 5338 procès-verbaux durant les onze jours d’enquête en flagrance. Les 542 tomes du dossier final incluent 46 919 pièces, 4000 scellés, 300 commissions rogatoires pour des interceptions téléphoniques. Treize pays ont été sollicités. 17 897 appels reçus au 197, le numéro dédié aux attentats…

« Charge émotionnelle »

« Vous pensez “terro”, vous vivez “terro”, vous n’avez plus de vie personnelle. La famille est mise entre parenthèses », poursuit Philippe Chadrys en insistant sur « l’investissement réclamé aux enquêteurs », qui « dépasse largement ce que l’on peut décemment leur demander ».

Certes, nuance le commissaire, les « gens de la SDAT baignent dedans. Ils ont toujours dans leur bureau une valise prête en cas de départ inopiné en France ou à l’étranger ».

Lui qui a passé sept ans à la SDAT-deux comme adjoint de 2010 à 2012, cinq comme chef de 2014 à 2019-ne cache pas son attachement à ce travail « passionnant », effectué « dans l’ombre », car « l’enquête judiciaire est quelque chose d’aride ».

Après les attaques du 13-novembre 2015, la pression est d’autant plus forte que des assaillants sont toujours dans la nature : « on ne peut pas se permettre de rater des indices ».

Conscient que « la gestion d’un témoin est extrêmement importante », M. Chadrys demande que tous les appels au 197 soient traités par des enquêteurs de police judiciaire. Ils seront cinquante à se relayer 24 heures sur 24.

Les faits lui donneront raison lorsque « Sonia » (prénom d’emprunt) appellera le 197 « le 16 novembre à 14 h 56 pour dire qu’elle héberge une fille dont le cousin n’est autre qu’Abdelhamid Abaaoud, réputé alors (se trouver) en Syrie. Et qu’il serait caché dans un buisson à Aubervilliers ».

Sorti d’un buisson

Les enquêteurs la convoquent très vite pour l’entendre « dans la soirée ». « On se dit : “est-ce que ce n’est pas un piège ? »

Une surveillance est mise en place. « Lorsque le 17 novembre, à 20 h 15, Abaaoud sort du buisson et apparaît sur l’écran de la caméra de surveillance que nous avions installée, nous savons tous que c’est un moment clé qu’il ne faut pas rater ».

Il est alors décidé de le suivre jusqu’à un appartement de Saint-Denis.

Une réunion avec le Raid a lieu à 2 h du matin. « Nous n’avions pas grand-chose à leur donner. Pas la configuration de l’appartement. Juste qu’il y avait au moins trois personnes (Abaaoud, sa cousine Hasna et un autre homme avec sans doute une ceinture explosive) et que c’était au troisième étage ».

Le 18 novembre, Abdelhamid Abaaoud, chef opérationnel des commandos du 13-Novembre, son complice Chakib Akrouh et Hasna Aït Boulahcen meurent lors de l’assaut du Raid.

Philippe Chadrys insiste sur « la charge mentale et émotionnelle extrêmement importante » supportée par les enquêteurs, qui ont « systématiquement » vu « un psychologue ». « La fatigue était réelle, le rythme infernal ».

De 2015 à 2019, la SDAT a été saisie de « 54 attentats ou tentatives d’attentats (34 en France, 20 à l’étranger) ».  

« Plus de 250 personnes ont été tuées en France durant cette période », liste le commissaire. « Pendant, trois à quatre ans, on a eu une centaine de dossiers par an ».