(Londres) Loin des mesures radicales de ses voisins, le Royaume-Uni adopte pour l’heure une approche prudente face au nouveau coronavirus, en espérant alléger la pression sur les services de santé et favoriser le développement d’une « immunité collective »,  une approche controversée.

Le gouvernement est passé jeudi à une nouvelle phase face au nouveau coronavirus, qui aurait infecté 5000 à 10 000 personnes en réalité, selon une estimation des responsables de santé, loin des 798 cas testés positifs et 10 morts enregistrés.

Écoles ouvertes, grands rassemblements permis

Mais le premier ministre Boris Johnson a estimé qu’il n’était pas encore temps de fermer les écoles ni d’interdire les grands rassemblements.

Les conseillers du gouvernement pensent que démarrer trop tôt entraînerait des perturbations trop importantes pour un bénéfice limité et risquerait de lasser une population tentée de ne plus suivre les recommandations au pic de la crise.

Pic que l’exécutif attend autour de l’été, espérant entretemps pouvoir amortir autant que possible le choc pour le service public de santé, le NHS, en sous-effectif chronique. Les personnes ne présentant que des symptômes légers sont appelées à ne consulter un médecin que si leur état se détériore, afin de concentrer les ressources sur les cas plus graves.

« Nous voulons éviter que tout le monde finisse par l’avoir (le virus) en peu de temps, ce qui submergerait le NHS », a déclaré Patrick Vallance, conseiller scientifique du gouvernement.

Lui et ses équipes pensent que la population pourrait développer une immunité au virus s’il se répand lentement.

Vous ne pouvez pas l’arrêter, donc vous devriez vous retrouver avec un pic plus important, pendant lequel vous prévoyez que plus de gens seront immunisés. Cela devient en soi une protection dans le processus. Il est probable que cela devienne un virus annuel, une infection saisonnière annuelle.

Patrick Vallance, conseiller scientifique du gouvernement britannique.

Néanmoins, il a suggéré que ce genre d’immunité ne pourrait fonctionner que si 60 % de la population était atteinte, au risque d’avoir potentiellement davantage de morts.

PHOTO SIMON DAWSON, AFP

Patrick Vallance, conseiller scientifique du gouvernement britannique.

L’approche du gouvernement a déjà suscité des critiques au Royaume-Uni, où beaucoup de gens observent avec nervosité les mesures radicales prises dans plusieurs pays, à commencer par l’Italie.

L’ancien ministre de la Santé Jeremy Hunt a estimé que les Britanniques seraient « surpris et préoccupés » si des mesures plus drastiques n’étaient pas prises.  

Stratégie critiquée

Le rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, Richard Horton, a accusé Londres d’« excès de confiance », exigeant des « mesures fermes » pour réduire les contacts sociaux entre les personnes, et des fermetures d’établissements.

Devi Sridhar, professeure de santé publique à l’université d’Édimbourg, a renchéri : « il est temps que le gouvernement interdise les rassemblements de masse, demande aux gens d’arrêter les voyages non indispensables, recommande aux salariés de faire du télétravail et muscle la riposte ».

« La courbe peut être inversée, comme en Corée du Sud et à Singapour, mais ça ne peut se faire qu’avec l’action du gouvernement », a-t-elle ajouté.

Mais d’autres spécialistes défendent la stratégie.

Thomas House, professeur de mathématiques statistiques à l’université de Manchester, estime que « l’immunité collective arrivera à un moment ou un autre » quoi qu’il en soit. « Le but d’une politique à cet égard devrait être de réduire au maximum le coût humain », selon lui.

Pour Martin Hibberd, spécialiste en maladies infectieuses à l’institut d’hygiène et de médecine tropical de Londres, les mesures britanniques doivent permettre de soigner les cas les plus graves, en attendant l’immunité collective.

« Actuellement le but des mesures […] est de retarder et aplanir le pic, afin que les gens les plus gravement atteints puissent être pris en charge convenablement », a-t-il déclaré à l’AFP. Puis « d’ici à l’hiver, quand on peut s’attendre à ce que la maladie soit pire, ceux qui n’ont pas été atteints se trouveraient en minorité et seraient protégés par l’immunité collective », a-t-il poursuivi. Pour lui, « les techniques de retardement vantées par le gouvernement sont susceptibles d’atteindre ce but ».