(Marseille) L’ONG Médecins sans frontières est contrainte de cesser ses opérations de sauvetage de migrants en Méditerranée avec le bateau Ocean Viking, sur fond de dissensions avec l’affréteur SOS Mediterranée, liées à la crise sanitaire de la COVID-19.

Liées depuis quatre ans, les deux associations, qui revendiquent avoir sauvé ensemble quelque 30 000 personnes fuyant la Libye à bord d’embarcations de fortune, ont annoncé vendredi la fin de leur partenariat.

Dans un contexte inédit, alors que Malte et l’Italie ont officiellement fermé leurs ports aux migrants, MSF et SOS Méditerranée divergeaient sur la reprise des opérations de secours de l’Ocean Viking, à quai depuis le 20 mars.

De retour de mission, le navire qui a succédé à l’Aquarius, avait jeté l’ancre à Marseille (sud de la France) où se situe le siège de SOS Méditerranée, son affréteur, en raison de la crise sanitaire mondiale liée à l’épidémie de coronavirus.

« Les conditions de sécurité ne sont malheureusement plus réunies pour les équipages et les personnes secourues », a estimé vendredi auprès de l’AFP Sophie Beau, directrice générale de SOS Méditerranée. Le navire rouge et blanc restera donc à son port d’attache jusqu’à nouvel ordre.

Repartir en Méditerranée, c’était prendre le risque de se retrouver « face à des situations de blocage qui s’éternisent en mer », « sans aucune garantie de débarquement », et « des évacuations médicales rendues très hasardeuses du fait des conditions de crise sanitaire », a-t-elle expliqué à l’AFP.

Une position que ne partage pas Médecins sans frontières (MSF), qui aurait souhaité poursuivre les sauvetages à bord de l’Ocean Viking, même sans garantie des États européens de pouvoir débarquer les personnes secourues, au nom de « l’impératif humanitaire », a expliqué Hassiba Hadj Sahraoui, chargée des questions humanitaires.

L’organisation non gouvernementale s’en prend vertement aux États européens, qui « continuent de se dérober devant leur responsabilité, contrecarrant sans relâche les efforts des ONG » : « La lutte contre la COVID-19 ne doit pas être un prétexte pour imposer des politiques migratoires meurtrières ».

« Cynique »

« L’appel lancé par l’Allemagne aux ONG de cesser leurs activités de recherche et de sauvetage et les décisions de l’Italie et de Malte de fermer leurs portes aux personnes sauvées sont discriminatoires et disproportionnées », estime-t-elle dans un communiqué.

L’association évoque notamment le refus de Malte et de l’Italie de laisser débarquer près de 200 personnes secourues par d’autres ONG le week-end dernier. « Au mieux il s’agit de réactions impulsives et peu éclairées, au pire il s’agit d’une volonté calculée et cynique de profiter des préoccupations de santé publique pour interdire les opérations de sauvetage », accuse-t-elle.

PHOTO DARRIN ZAMMIT LUPI, REUTERS

Des soldats aide au débarquement de migrants secourus en mer, le 10 avril sur l'île de Malte.

« Les États européens devraient respecter leurs engagements internationaux en matière de sauvetage en mer et de droit d’asile. La COVID-19 n’empêche pas l’arrivée des personnes qui peuvent être […] si nécessaire mises en quarantaine 14 jours comme d’autres personnes qui arrivent de l’étranger », abonde auprès de l’AFP Virginie Guiraudon, spécialiste des questions de migrations à Sciences-Po à Paris et directrice de recherches au CNRS.

« Pour rappel, l’Allemagne, qui a demandé aux bateaux humanitaires allemands de cesser leurs opérations le 6 avril, fait venir 60 000 travailleurs saisonniers pour récolter des asperges, d’autres pays font de même,  donc clairement, quand on veut, on peut accueillir pendant la pandémie », ajoute Mme Guiraudon.

En 2019, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a recensé 1283 décès connus en Méditerranée, la route centrale entre l’Afrique du Nord et l’Italie étant la plus mortelle pour les personnes tentant de rejoindre l’Europe. Au moins 19 164 migrants auraient péri dans les flots au cours des cinq dernières années.

Lundi, les garde-côtes italiens et européens avaient démenti le naufrage d’un bateau de quelque 260 migrants, annoncé la veille par l’ONG allemande Sea-Watch International. Selon les garde-côtes italiens, le canot à la dérive avait « vraisemblablement été l’objet d’une intervention de secours de la part des autorités compétentes libyennes ».  

Dans un communiqué, l’OIM a toutefois exprimé lundi « de grandes inquiétudes pour des centaines de migrants que les garde-côtes libyens ont annoncé avoir ramenés à terre mais dont on est sans nouvelle ». La Libye est en proie au chaos depuis 2011 et deux autorités rivales s’affrontent militairement pour le contrôle du pays.