(Moscou) Vladimir Poutine a limogé mardi l’un de ses conseillers les plus emblématiques, Vladislav Sourkov, le stratège dans la crise ukrainienne et l’architecte de la « verticale du pouvoir », donné sur le départ depuis des semaines.

Le limogeage de M. Sourkov, 55 ans, une personnalité énigmatique de la vie politique russe et l’une des figures les plus troubles de l’entourage de Vladimir Poutine, a été annoncé par un décret diffusé sur le site internet du Kremlin. Ses éventuelles nouvelles fonctions n’ont pas été révélées.

M. Sourkov avait déjà été remplacé le 11 février par le chef adjoint de l’administration présidentielle Dmitri Kozak, 61 ans, en tant que négociateur en chef sur le conflit dans l’est de l’Ukraine, à l’heure d’un début de relance du processus de paix entre Moscou et Kiev.

Apôtre du pouvoir sans limite pour le Kremlin

Vladislav Sourkov est la bête noire de beaucoup d’opposants russes, car c’est lui qui, dans l’administration présidentielle, a organisé au début des années 2000 l’instauration d’un système de pouvoir dans lequel les médias sont sous contrôle, l’opposition est docile au Parlement et la contestation publique est réprimée.

Il est l’artisan du concept de « verticale du pouvoir », une autorité de l’État dépendante du seul Vladimir Poutine, bâtie en réaction au chaos des années 1990.

À partir de 2014, il est le principal stratège russe dans la crise ukrainienne, marquée par l’annexion de la Crimée en 2014 et un conflit meurtrier entre forces de Kiev et séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 13 000 morts.

Le départ de M. Sourkov des hautes sphères du pouvoir avait été annoncé fin janvier par l’un de ses proches, le politologue Alexeï Tchesnakov, selon lequel le Kremlin souhaite un « changement de cap » dans la gestion de la crise ukrainienne.

La Russie supérieure aux démocraties occidentales

En 2019 dans une tribune, il assure que le pouvoir mis en place par et pour Vladimir Poutine – médias sous contrôle, opposition docile au parlement et répression de la contestation publique – est supérieur aux démocraties occidentales qu’il perçoit comme étant en déclin, quand la puissance russe connaît, elle, un renouveau.

« Après l’échec des années 1990, notre pays a abandonné les emprunts idéologiques et commencé à produire du sens, et est passé à la contre-offensive à l’égard de l’Occident », écrit-il.

L’ex-conseiller du Kremlin Gleb Pavlovski, aujourd’hui critique à l’égard du pouvoir, relève auprès de l’AFP que c’est « nuit et jour » que Sourkov a œuvré pendant 20 ans auprès de Poutine.

L’une de ses obsessions a été d’empêcher toute « révolution de couleur », ces soulèvements populaires ayant porté des pro-occidentaux au pouvoir dans plusieurs ex-républiques soviétiques, comme la Révolution orange en Ukraine en 2004 ou celle de la Rose en Géorgie en 2003.

Décrit comme machiavélique

Chef adjoint de l’administration présidentielle puis vice-premier ministre, souvent qualifié de machiavélique, Vladislav Sourkov aime parfois surprendre : lors du mouvement de protestation qui secoue Moscou en 2011 après des législatives teintées de fraudes, il soutient publiquement des revendications des manifestants.

« Qui voudrait préserver la corruption, l’injustice et un système sourd dont l’idiotie progresse ? Personne ! Même ceux qui en font partie », lance-t-il alors.

En 2013, il revient au Kremlin, dans la foulée de Vladimir Poutine, comme conseiller et se consacre à la géopolitique. Il devient le principal stratège russe dans la crise ukrainienne, marquée par l’annexion de la Crimée en 2014 et un conflit meurtrier entre forces de Kiev et séparatistes pro-russes dans l’est du pays.

Alors que Moscou nie soutenir financièrement et militairement les séparatistes pro-russes, M. Sourkov ne cache pas ses liens personnels avec ces derniers. Lors de l’enterrement d’Alexandre Zakhartchenko, l’un des chefs des rebelles, tué en 2018, il le qualifie publiquement de « frère ».

Sous le coup de sanctions occidentales du fait de son rôle dans ce conflit, l’intéressé dit les considérer comme « un Oscar politique » et « un grand honneur ».

Fan du rapper américain Tupac Shakur

Néanmoins, Vladislav Sourkov est un passionné de culture américaine, fan notamment du rapper Tupac Shakur, dont le portrait trônait dans son bureau au Kremlin aux côtés de celui de Che Guevara.

Né en 1964 d’un père tchétchène et d’une mère russe, Vladislav Sourkov démarre sa carrière avec Mikhaïl Khodorkovski. Celui qui deviendra oligarque, milliardaire puis pire ennemi de Poutine l’avait embauché en 1987 aux relations publiques de sa banque Menatep.

Remarqué par le Kremlin, il y entre peu avant la démission surprise de Boris Eltsine, fin 1999, et l’arrivée de Vladimir Poutine.

Auteur de romans d’intrigues politiques sous le pseudonyme de Natan Doubovitsky, il a également écrit des textes pour le groupe de rock russe Agatha Christie.