« Ostalgie » : mot-valise formé de « ost », ou « est » en allemand, et de nostalgie. Le néologisme désigne la nostalgie ressentie à l’égard de la République démocratique allemande (RDA), après la dissolution du régime communiste dans l’Allemagne réunifiée.

Selon Katharina Niemeyer, professeure en théories médiatiques à l’École des médias de l’UQAM, le néologisme s’est popularisé notamment après la sortie du film de 2003 Good Bye Lenin !, dont le récit tourne autour d’un jeune homme qui tente de cacher à sa mère est-allemande, éveillée après de longues années dans le coma, que le mur de Berlin est tombé.

La professeure, née en Allemagne de l’Ouest, avait 9 ans quand le mur est tombé, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989. Elle se spécialise aujourd’hui dans le traitement du passé et de l’histoire à travers les médias et l’internet.

Pour la plupart des gens, l’ostalgie se vit de façon plutôt ludique. À Berlin, il y a vraiment une marchandisation des souvenirs de l’ex-RDA.

Katharina Niemeyer

Mme Niemeyer indique que les communautés tournant autour de l’ostalgie pullulent un peu partout sur la toile. Sur Instagram, le mot-clic #ostalgie totalise plus de 50 000 mentions, dont l’essentiel des publications sont axées sur les aspects esthétiques et matériels, dans un esprit rétro.

L’« ostalgique » n’a pas de profil type, dit-elle. Certains Allemands de l’Est se remémorent la cuisine de l’époque. Certains apprécient le design soviétique typique des publicités. D’autres se rendent à des ostalgie partys à bord d’une Trabant, la « voiture du peuple » emblématique de l’époque.

PHOTO HANNIBAL HANSCHKE, ARCHIVES REUTERS

Quelques bouteilles d’alcool qui pouvaient être consommées en République démocratique allemande

« Pour beaucoup de jeunes Allemands de l’Est, l’ostalgie est une façon de comprendre le passé de leurs parents, qui ont réellement vécu sous le communisme », indique Katharina Niemeyer, qui s’est rendue sur les lieux avec un groupe d’étudiantes l’été dernier.

Pas la réunification rêvée

Si peu de gens souhaitent effectivement revenir à l’ancien système, l’insatisfaction des Allemands de l’Est à l’égard de leur sort post-réunification ajoute une couleur politique nouvelle à l’ostalgie.

Dans un rapport annuel sur l’état de la réunification publié plus tôt cette année, le commissaire aux affaires est-allemandes a trouvé que 57 % des Allemands de l’Est se considèrent comme des « citoyens de seconde zone », tandis que seulement 38 % perçoivent la réunification comme un succès. Chez les moins de 40 ans, le chiffre est de 20 %.

L’est du pays est à la remorque de l’ouest, si bien que, depuis la chute du mur, la population y a chuté de près de 3 millions, à un niveau semblable à celui du début du siècle dernier.

« J’ai l’impression que la fête ne sera pas si grande que ça cette année », prédit Katharina Niemeyer, en référence aux célébrations du 30e anniversaire de la chute du mur.

PHOTO LIONEL CIRONNEAU, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des soldats est-allemands face à des manifestants de part et d’autre de la porte de Brandebourg, le 11 novembre 1989

En cause : un virage capitaliste qui n’a pas profité de manière équitable à tout le pays, ainsi que la crise migratoire, vécue de manière négative par ceux qui se sentent laissés pour compte, indique la chercheuse.

Dans un curieux renversement historique, Katharina Niemeyer explique que ces frustrations ont contribué à la montée relative des partis politiques aux deux extrêmes, soit Die Linke à gauche et Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) à droite.

L’appel à la « grandeur » réelle ou imaginée d’un pays passé n’est pas propre à l’imaginaire américain. « Aujourd’hui, l’ostalgie est souvent récupérée par le populisme et par l’extrême droite [en Allemagne], indique Mme Niemeyer. Ils s’accrochent au wagon du passé en disant que c’était mieux avant. 

« Ce n’est peut-être pas la réunification dont on avait rêvé », résume-t-elle.