Quand elle a entendu Carles Puigdemont évoquer l'«indépendance de la Catalogne», Merce a versé des larmes d'émotion. Tomas, lui, n'avait que dédain pour le discours du président de la région: les Barcelonais étaient loin, mardi, de communier dans la même ferveur.

Face à un écran géant installé au pied de l'Arc de Triomphe, ils sont des milliers à brandir le drapeau catalan, tout en suivant le discours de M. Puigdemont au parlement catalan tout proche.

Quand le président de la région parle d'«indépendance» de sa région, Merce Hernandez, 35 ans, sent les larmes monter. «Quelle émotion, c'est un jour historique. Je suis satisfaite», dit-elle.

Le discours de M. Puigdemont, «m'a semblé parfait, c'est ce que j'attendais», explique Albert Llorens, un retraité de 69 ans. «Toutes ces années (de combat indépendantiste), ça en valait la peine».

Et pourtant, les partisans de l'indépendance sont loin d'être complètement à la fête, car M. Puigdemont assortit son discours d'une «suspension des effets d'une déclaration d'indépendance afin de pouvoir entreprendre dans les prochains jours un dialogue».

«Au fond, nous sommes contents, mais nous attendions plus», dit Pere Valldeneu, 66 ans, venu écouter le président catalan avec son épouse Antonia, 64 ans. «Il ne va rien se passer parce que Madrid ne le permettra pas», se lamente-t-il.

«J'aurais été beaucoup plus directe», déclare Gemma Faura, infirmière de 32 ans assise sur le gazon où, avant le discours de Puigdemont, les gens scandaient: «Independencia!»

Après à peine une heure de discours, M. Puigdemont range ses feuilles au Parlement et la place de l'Arc de Triomphe commence à se vider.

Dans le centre de Barcelone, aux alentours de la place de Catalogne, alors que les députés catalans continuent à débattre, quelques Catalans enveloppés d'un drapeau indépendantiste rentrent chez eux la mine déconfite.

«À fleur de peau» 

Non loin, Tomas Pinero et sa femme Laura Teruel, 59 et 58 ans, sirotent une bière en terrasse. Ils se disent un peu rassurés par la déclaration ambiguë du président catalan.

Lui, agent de sécurité et électeur du parti anti-indépendantiste Ciudadanos (centre droit), est maintenant «très tranquille». «On va revenir là où on en était avant ce bazar», dit-il, faisant confiance au gouvernement central dirigé par le conservateur Mariano Rajoy.

Sa femme est, elle, moins certaine que les choses vont s'arranger. «J'ai cet espoir, mais la peur est toujours là», admet cette boulangère. «Avec mes collègues de travail, on a passé la journée à suivre les infos sur nos téléphones portables. On avait les nerfs à fleur de peau.»

«On ne veut pas que l'Espagne se divise, qu'elle se brise!», dit avec beaucoup d'émotion cette électrice du parti de gauche Podemos, arrivée toute petite en Catalogne depuis l'Andalousie.

«Ils nous ont poussés à nous affronter entre nous», déplore-t-elle, aussi remontée contre le gouvernement central que contre les séparatistes catalans.

Depuis le 1er octobre et le «référendum» interdit d'autodétermination en Catalogne, où le «oui» l'a emporté à plus de 90% selon les autorités indépendantistes, Carles Puigdemont est sous pression : d'un côté celle des tenants d'une rupture immédiate avec Madrid, de l'autre celle du gouvernement espagnol conservateur qui juge illégal l'ensemble du processus, et des Catalans qui veulent rester espagnols.

La crise effraye aussi les milieux économiques. Plusieurs entreprises ont déjà transféré leur siège social hors de Catalogne.

Aucun dialogue ne s'est fait jour et l'Espagne s'est retrouvée plongée dans sa pire crise depuis le retour à la démocratie en 1977.

Sergio Palacios, serveur dans le Nou Barris, quartier de Barcelone qui penche du côté du maintien du statu quo.

«Lorsque j'ai entendu Puigdemont parler de «République», je me suis pris la tête entre les mains», dit-il, tandis que deux clients accoudés au comptoir, une indépendantiste et un unioniste, débattent vivement.

«Jusqu'à maintenant, il n'y avait aucun problème, mais maintenant, le fossé est plus large» entre les partisans et les opposants de l'indépendance, regrette Sergio Palacios.