Le gouvernement français, mis au pied du mur par la rébellion d'une partie des députés de gauche, s'est résolu mardi à faire adopter sans le vote du Parlement une réforme du droit du travail qui suscite des manifestations à répétition depuis plus de deux mois.

Le premier ministre Manuel Valls a annoncé devant l'Assemblée nationale le recours à une arme constitutionnelle permettant au gouvernement de contourner l'absence de majorité pour adopter ce projet, présenté comme la dernière grande réforme du quinquennat du président socialiste François Hollande.

Réuni en urgence en début d'après-midi, le gouvernement a donné carte blanche à Manuel Valls pour engager sa responsabilité. Selon l'article 49-3 de la Constitution, si aucune motion de censure n'est votée, le texte sera adopté sans plus de formalité.

Mais l'opposition de droite, minoritaire à l'Assemblée nationale, a déposé dans la foulée une motion de censure, qui sera débattue jeudi par l'Assemblée, en dénonçant «l'impasse dans laquelle François Hollande a mené (le) pays». Les communistes et le tribun de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon ont aussi appelé à censurer l'exécutif.

La quarantaine de députés socialistes «frondeurs», dont les voix étaient nécessaires pour obtenir une majorité sur le projet, devaient se réunir mercredi pour décider «collectivement» leur position.

Ils pourraient être réticents à faire tomber le gouvernement, mais leur porte-parole Christian Paul a averti : «l'enjeu d'une motion de censure, ce n'est pas simplement d'exprimer la défiance à l'égard du gouvernement, c'est d'abord de faire en sorte que la loi travail ne soit pas adoptée», a-t-il souligné.

«Ce texte est cohérent, équilibré et le fruit d'un compromis», mais «certains dans la majorité refusent de s'inscrire dans cette dynamique de compromis», a regretté Manuel Valls.

Ce psychodrame n'est que le dernier d'une longue série depuis le virage social libéral entamé par le président Hollande à mi-mandat, puis son virage sécuritaire après les attentats djihadistes de novembre à Paris (130 morts).

«Véritable honte»

La crise a été déclenchée par une réforme du droit du travail qui vise, selon le gouvernement, à donner plus de souplesse aux entreprises pour lutter contre un chômage de masse (plus de 10 %). Mais la réforme est jugée trop libérale par ses détracteurs qui craignent une aggravation de la précarité.

Deux mesures sont particulièrement controversées : le texte clarifie les règles de licenciement économique, mais ses opposants disent qu'il les facilite en évaluant les difficultés des grandes d'entreprises sur leurs seules filiales françaises. Et dans les négociations entre employeurs et salariés, il accorde la primauté aux accords d'entreprises sur les accords de branche.

Les syndicats réformistes estiment avoir infléchi le texte dans le bon sens, mais les centrales contestataires ne désarment pas. Les manifestations se succèdent depuis deux mois, avec un pic de mobilisation le 31 mars avec 390 000 manifestants dans toute la France. Depuis les cortèges se sont réduits et radicalisés, avec plusieurs incidents violents.

De nouvelles manifestations sont attendues jeudi.

La contestation a aussi donné naissance à un mouvement social inédit, baptisé «Nuit Debout», qui se caractérise notamment par l'occupation emblématique de la Place de la République, dans le centre de Paris. Ce mouvement a estimé mardi que le recours au 49-3 est une «insulte au peuple», un «déni de démocratie», tandis que le syndicat CGT a parlé de «véritable honte».

Partageant les inquiétudes des manifestants, plusieurs députés de gauche avaient indiqué qu'ils ne voteraient pas le projet de loi.

Une quinzaine d'entre eux ont été reçus mardi matin par le premier ministre Manuel Valls dans une vaine tentative de rapprocher les positions.

En dégainant l'arme constitutionnelle du 49-3, déjà utilisée en 2015 pour faire passer une réforme économique portée par le ministre de l'Économie Emmanuel Macron, le gouvernement - déjà très impopulaire - prend le risque de froisser encore plus son propre camp.

Il compromet encore plus les chances de la gauche pour la présidentielle de 2017, alors que François Hollande est englué dans une impopularité record avec seulement 15 % d'opinions favorables.