Ils y sont depuis 10 nuits et - promettent-ils - « jusqu'au matin du grand soir ».

Hier soir, des centaines de jeunes remplissaient la place de la République, à Paris, pour une nouvelle « Nuit debout » sous l'immense Marianne de bronze qui surplombe les lieux. Des moins jeunes aussi, mais nettement minoritaires.

La place, depuis longtemps un lieu de rassemblement pour militants de tout acabit, est depuis le dernier jour de mars un aimant à colère et à rêves. Dans les rames de la ligne 5 du métro, des collants « Rejoignez-nous » indiquent la voie à suivre aux égarés.

La mobilisation lancée il y a plus d'un mois contre une réforme du Code du travail - qualifiée de « meurtre prémédité » de protections sociales par des syndicats - s'est cristallisée ici.

À une extrémité de la place : une grande assemblée générale, chaque nuit. Les gens y prennent la parole à tour de rôle dans une série parfois échevelée d'interventions.

Tout y passe : critique du gouvernement et du grand capital, appel à des manifestations ou dénonciation du manque de générosité des Parisiens par un mendiant. Hier soir, deux débats ont particulièrement animé les esprits : faut-il se choisir des porte-parole et faut-il renoncer à la violence ?

On y fait aussi approuver les tracts officiels du mouvement : « Nos gouvernants sont murés dans leur obsession de perpétuer un système à bout de souffle au prix de réformes de plus en plus rétrogrades ». Marée montante de mains levées. Approuvé. Le document sera signé « Nuit debout ».

COMMISSIONS ET CAISSES DE BIÈRE

Sur un arbre, fixée grossièrement, une grande affiche montre les signes à faire pour réagir aux discours sans les interrompre : les jeunes agitent les mains pour appuyer, placent les bras en croix pour désapprouver et les font tourner pour se plaindre de longueurs.

Autour, de plus petits groupes de jeunes assis sur le pavé de la place. Des cercles sont réunis en de très sérieuses commissions, chargées d'« éducation », de « féminisme » ou d'une éventuelle « grève générale ». D'autres groupes, identiques à première vue, sont rassemblés autour d'un joint ou d'une caisse de bière.

Tout près, un « artisan poète » à vélo et une jeune femme se querellent à voix haute sur le mode de propriété à instaurer, une fois le grand soir arrivé. Un libraire anarchiste tente d'écouler des exemplaires d'un livre pour enfant (Jojo le pirate partage le butin) à travers les classiques d'extrême gauche.

Des chapiteaux improvisés abritent là une infirmerie de fortune, là une cantine où les clients décident eux-mêmes de leur contribution. Lundi, la mise à l'égout d'une grande marmite de soupe par la police a créé une commotion sur la place.

Car les forces de l'ordre sont omniprésentes sur la place de la République. Leurs gyrophares bleus quadrillent les rues qui encadrent la place. Les groupes de taille importante qui quittent la place pour tenter de lancer une manifestation dans les rues de Paris sont suivis : l'affaire a tourné à l'affrontement, hier vers 23 h, rue Notre-Dame-de-Nazareth, où les gaz irritants prenaient à la gorge. Les manifestations se poursuivaient au moment de publier.

Les policiers ont aussi démantelé les installations des occupants de « Nuit debout » à quelques reprises depuis le début du mouvement. En vain. Les jeunes sont de retour chaque soir, vers 18 h.

PLUSIEURS CIBLES

C'est ce qui convainc Maxime, « bientôt 26 ans », de la force du mouvement.

« Ça fait des années que c'est sur le feu, et peut-être que c'est cette année que ça va marcher », espère-t-il.

Si c'est la réforme du Code du travail proposée par le gouvernement Hollande qui a mis le feu aux poudres et déclenché la mobilisation des jeunes, ce sujet n'est devenu qu'une cible parmi d'autres à la place de la République.

Selon Maxime, cette absence d'objectif clair et consensuel parmi les occupants de la place ne pose pas problème. « Pourquoi il faudrait qu'il y ait des revendications ? demande-t-il. Je ne comprends pas. C'est bien que les gens soient mélangés. C'est le but de nos ministres qu'on soit constamment divisés [...] alors qu'on est tous dans la même galère. »