Trois avocates qui devaient participer à un procès phare contre Batasuna - présenté comme le bras politique de l'ETA et interdite depuis 2003-, ont été arrêtées lundi juste avant son ouverture sous des accusations d'endoctrinement de prisonniers et de fraude fiscale.

La garde civile espagnole les a arrêtées au petit matin dans un hôtel à quelques encablures de l'annexe de l'Audience nationale -- juridiction spécialisée notamment dans les affaires de terrorisme -- où le procès devait s'ouvrir à 10H00, à San Fernando de Henares, près de Madrid.

«Le procès est suspendu, conséquence de la détention de trois camarades», a déclaré à l'AFP l'avocate Jone Goirizelaia, à l'issue d'une brève audience au cours de laquelle les juges ont décidé du report. Au total six avocats devaient participer au procès pour défendre 35 personnes.

Seize personnes ont été arrêtées dont 12 avocats dans cette opération nationale de la garde civile, menée à Madrid, au Pays basque et en Navarre (nord).

Selon le ministère de l'Intérieur, les 12 avocats sont soupçonnés de fraude fiscale, de blanchiment et d'endoctrinement de prisonniers pour le compte de l'organisation séparatiste basque ETA, tenue pour responsable de plus de 800 morts en 40 ans d'attentats.  L'ETA a renoncé à la violence en octobre 2011.

Parmi les avocates arrêtées figure Amaia Izco, qui défend Aurore Martin, l'une des deux militantes françaises qui devaient comparaître avec 33 militants espagnols.

Cette juriste est aussi celle qui a défendu jusque devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) l'illégalité de l'application d'une doctrine juridique, dite «Parot» qui permettait de prolonger la détention des prisonniers de l'ETA.

Elle a eu gain de cause et des dizaines de détenus ont été libérés en 2013 et 2014.

«C'est scandaleux», a déclaré la Française Aurore Martin devant le tribunal en soulignant que 19 des 35 militants, qui ont déclaré aux juges ne pas vouloir changer d'avocat, se retrouvaient ainsi sans défense.

«On nous demande d'aller nous justifier à Madrid devant l'Audience nationale et on arrête nos avocats en même temps», a-t-elle déclaré un peu plus tard par téléphone à une correspondante de l'AFP à Bayonne (sud-ouest de la France) où 350 personnes se sont rassemblées en soutien aux 16 personnes arrêtées.

Aurore Martin et une autre française poursuivie, Haizpea Abrisketa, participaient à cette marche après être venue de Madrid.

À Madrid, Me Jone Goirizelaia de son côté a souligné que les avocates arrêtées aurait très bien pu être citées à comparaître si leur interrogatoire était requis dans un autre dossier.

Ces arrestations «répondent à un calcul politique» du Parti populaire au pouvoir (droite), a de son côté affirmé Pernando Barrena, un des accusés, par ailleurs porte-parole de l'organisation indépendantiste Sortu.

«Ils visent à récupérer dans l'État espagnol un électorat de droite et d'ultra-droite en cette année électorale», a-t-il encore assuré.

Les membres et dirigeants présumés de Batasuna -- interdite en 2003 -- devaient être jugés jusqu'à fin juin, pour des activités politiques menées après l'interdiction de l'organisation, jusqu'en 2008.

L'accusation évoque des transferts d'argent et des dizaines de documents, réunions, conférences de presse prouvant selon elle qu'ils agissaient pour le compte de Batasuna, sous couvert d'autres organisations, notamment l'Action nationaliste basque (ANC) et le Parti communiste des terres basques (PCTV). Le tout dans le but de prolonger la stratégie de l'ETA».

Les faits relèvent selon le parquet du délit d'appartenance à une organisation terroriste et peuvent aboutir à leur condamnation à dix ans de prison.

Les prévenus de leur côté argumentent qu'ils n'ont fait que mener des activités politiques sans visée terroriste. Ils considèrent ce procès «anachronique», alors que de nombreux accusés sont désormais membres ou dirigeants d'une formation légale, Sortu, créée en 2012 et qui a accepté les règles du jeu démocratique et recherche la paix.

Le ministère de l'Intérieur assure que les avocats mis en cause appartenaient au «front des prisons» de l'ETA et avaient pour mission de continuer à endoctriner les prisonniers et de s'assurer qu'ils suivaient leurs directives.

«Il n'y a pas de place pour l'impunité», a déclaré le ministre de l'Intérieur Jose Fernandez Diaz.

L'ETA, créée en 1959 et tenue pour responsable de la mort de 829 personnes, a renoncé en octobre 2011 à la violence. Elle souhaite négocier sa reddition mais Madrid réclame sa dissolution pure et simple.