La France, qui a été secouée hier par l'attentant sanglant contre Charlie Hebdo, constitue depuis des années une «cible de choix» pour les groupes terroristes.

Alors que la menace terroriste est venue historiquement de mouvances diverses, elle émane d'abord et avant tout aujourd'hui des cercles djihadistes, relève Thomas Juneau, qui enseigne à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

Le groupe État islamique l'a rappelé crûment l'été dernier dans un long message audio où un porte-parole exhortait les musulmans à frapper les pays soutenant l'offensive américaine contre ses positions en Irak.

Le porte-parole en question, Mohammed al-Adnani, a déclaré qu'il fallait tuer les «infidèles» américains ou européens, précisant que les «obscènes et malveillants» Français présentaient un intérêt tout particulier.

Selon M. Juneau, la présence active de la France au Proche-Orient et en Afrique du Nord est l'un des facteurs qui cristallisent la haine des intégristes pour l'Hexagone.

Le pays a notamment mené une offensive militaire au Mali pour venir à bout d'une insurrection à laquelle étaient associés des militants d'Al-Qaïda. Il joue un rôle actif en Syrie, en plus de l'Irak.

M. Juneau, qui agissait comme analyste stratégique sur le Moyen-Orient pour le ministère de la Défense canadien avant de passer à l'enseignement, pense que l'attentat survenu hier est en partie une réaction à la politique étrangère interventionniste de la France.

Il s'agissait aussi, selon lui, d'une mission punitive visant à faire payer précisément le personnel de Charlie Hebdo pour ses publications passées relativement à l'islam.

«Il faut voir ça comme un tout... Charlie Hebdo était régulièrement mentionné dans les sites djihadistes depuis la publication des caricatures de Mahomet», relève le professeur.

Benoît Gomis, spécialiste français en sécurité internationale rattaché à Chatham House, un centre de recherche londonien, a prévenu hier qu'il faut prendre garde de tirer des conclusions hâtives sur les motifs exacts des auteurs de l'attentat.

L'expert relève que l'hebdomadaire ciblé véhiculait un «message fort» et potentiellement dérangeant pour la liberté d'expression qu'il est nécessaire de protéger.

Il est vrai par ailleurs, note-t-il, que les terroristes évoquent souvent les actions internationales des pays ciblés pour justifier leur action et que la France est le pays européen, avec la Grande-Bretagne, qui poursuit la politique étrangère la plus interventionniste.

«Il y a un vaste consensus en France relativement à la politique étrangère et la politique de défense, et je ne pense pas qu'on va assister à un véritable chambardement à ce sujet. La population est largement favorable à l'interventionnisme», souligne M. Gomis.

La lutte contre le terrorisme est compliquée par le fait que des centaines de jeunes Français ont décidé au cours des dernières années de se rendre en Syrie ou en Irak pour combattre au nom de l'islam.

Le gouvernement, dit M. Gomis, redoute que certains d'entre eux se radicalisent à l'étranger et veuillent perpétrer des attentats à leur retour, de leur propre chef ou en réponse à l'appel d'organisations terroristes établies à l'étranger.

Le quotidien Libération soulignait hier soir qu'au moins un des suspects de l'attentat commis hier avait déjà projeté de se rendre en Syrie pour combattre.

Plusieurs mesures répressives prévoyant par exemple le retrait de la citoyenneté ou la rétention de passeport ont été avancées pour contrer le phénomène, mais cette approche est trop limitée, juge M. Gomis.

«On s'attaque aux symptômes plutôt qu'au vrai problème», relève l'expert, qui évoque la nécessité de contrer les inégalités «politiques et sociales» existantes dans la société française pour compliquer le recrutement de futurs djihadistes.

Selon lui, la montée en force du Front national, formation d'extrême droite qui a fait de la lutte contre l'immigration sa priorité, ne fait qu'augmenter les risques de dérapage.

«C'est un parti très dangereux. Ils renforcent les divisions et les tensions existantes au sein de la société alors qu'il faut faire l'opposé», conclut M. Gomis.

Une longue série d'attaques meurtrières

L'attentat survenu hier dans les locaux de l'hebdomadaire Charlie Hebdo est le plus meurtrier des 50 dernières années en France. Il s'inscrit dans une longue série d'attaques attribuées à des mouvances diverses. Voici quelques exemples.



1961

L'Organisation armée secrète (OAS), une formation d'extrême droite qui défend la présence française en Algérie, est mise en cause à la suite de l'explosion d'une bombe sous le train Paris-Strasbourg. À la suite du déraillement, 28 personnes sont tuées et 170 sont blessées .

1982

Une attaque contre le train Toulouse-Paris, à bord duquel devait prendre place Jacques Chirac, maire de Paris à l'époque, fait 5 morts et 77 blessés. Elle est attribuée à l'organisation d'Ilich Ramirez Sanchez, mieux connu sous le pseudonyme de Carlos, qui orchestrera plusieurs autres attentats en sol français.

1995

Une bombe explose à la fin du mois de juillet dans un train régional à la station Saint-Michel, au coeur de la métropole française. L'attentat est attribué au Groupe islamique armé (GIA), une organisation extrémiste algérienne, qui organise une série d'attaques tout au long de l'été.

2012

Un résidant de Toulouse, Mohamed Merah, tue trois militaires lors d'attaques distinctes avant de s'en prendre à une école juive, où il abat trois enfants et un enseignant. L'homme de 23 ans, qui se réclame d'Al-Qaïda, est abattu par une unité policière spécialisée qui pénètre dans son appartement à l'issue d'un long siège.

Les médias du pays ont été ciblés spécifiquement à plusieurs reprises.



1961

Plusieurs médias français sont pris pour cible lors d'attaques attribuées à des militants de l'Organisation armée secrète (OAS), qui leur reproche «d'abandonner» l'Algérie française. Les maisons de journalistes du Monde sont ciblées. Une bombe explose par ailleurs dans les bureaux du Figaro.

1985

Un groupe d'extrême gauche, Action directe, revendique des attaques à l'explosif contre Antenne 2 et Radio France. Des vitres sont soufflées et des véhicules détruits. L'organisation explique vouloir, par son geste, dénoncer le passage en ondes du chef du Front national, Jean-Marie Le Pen. Un journal d'extrême droite est ciblé la même année.

1991

Une bombe explose dans le hall de l'immeuble du quotidien Libération, blessant un réceptionniste et deux gardiens. La position critique du journal relativement à l'intervention française dans la guerre du Golfe est critiquée dans un tract laissé sur place.

2011

Charlie Hebdo, qui vient de publier un numéro intitulé «Charia Hebdo», est ciblé par un attentat nocturne. Les locaux sont partiellement détruits par l'incendie en résultant. Une attaque informatique est lancée parallèlement contre le site internet de l'hebdomadaire. Les responsables de l'incendie n'ont pas été retrouvés.

Sources: AFP, Le Monde, Le Figaro