La visite historique du premier ministre albanais en Serbie a été ternie par un accrochage verbal avec son homologue serbe sur le Kosovo, incident qui a une nouvelle fois illustré les profondes divergences entre Serbes et Albanais dans les Balkans.

Toutes les belles paroles prononcées lundi par le chef du gouvernement serbe Aleksandar Vucic et son homologue albanais Edi Rama en ouverture d'une conférence de presse, portant sur la coopération et la bonne entente régionale ainsi que sur l'adhésion à l'Union européenne, ont volé en éclats lorsque M. Rama a prononcé le mot Kosovo.

Déjà, cette visite, la première d'un chef de gouvernement albanais en 68 ans, intervenait dans un climat de regain de tensions entre les deux nations.

Cette visite aurait du permettre d'apaiser les tensions qui pèsent sur les relations bilatérales en raison du vieux contentieux de l'indépendance du Kosovo, mais aussi des revendications de la minorité albanaise de Serbie qui réclame davantage d'autonomie, voire un rattachement au Kosovo majoritairement albanais.

M. Vucic s'est offusqué et a dénoncé une «provocation» lorsque M. Rama a abordé le sujet du Kosovo en appelant la Serbie à reconnaître la «réalité irréversible» de cette ex-province serbe.

«Je ne m'attendais pas à cette provocation de la part de M. Rama, de parler du Kosovo, car je ne vois pas ce qu'il a à voir avec le Kosovo. Je dois lui répondre, car je ne permettrai à personne d'humilier la Serbie à Belgrade», a dit M. Vucic contenant difficilement sa colère.

«Selon la Constitution, le Kosovo fait partie de la Serbie et n'a rien à voir avec l'Albanie et n'aura jamais rien à voir», a-t-il poursuivi.

«Ma mission est de dire que personne ne va humilier la Serbie», a encore insisté M. Vucic.

Auparavant, M. Rama avait rappelé que «le Kosovo indépendant» était reconnu par plus d'une centaine de pays.

«C'est une réalité irréversible et cette réalité doit être respectée», a-t-il affirmé devant son homologue serbe qui écoutait, choqué, la traduction.

L'incident du drone

La visite de M. Rama avait été mise en cause à la suite des graves incidents le 14 octobre à Belgrade qui avaient entraîné l'arrêt du match de soccer Serbie-Albanie comptant pour les qualifications pour l'Euro-2016.

Initialement prévue le 22 octobre, la visite avait été reportée de trois semaines.

Ces incidents - considérés par la Serbie comme une «provocation politique» -, engendrés par le survol du stade belgradois par un drone portant le drapeau de la «Grande Albanie», ont dégénéré en une crise politique sans précédent illustrant la fragilité des relations entre les deux nations.

Belgrade a même affirmé que le drone avait été piloté depuis une loge officielle dans les tribunes par Olsi Rama, le frère du premier ministre albanais. En revanche, rien n'a filtré depuis sur l'enquête de la police serbe qui «se poursuit».

La «Grande Albanie» est un projet nationaliste visant à réunir tous les Albanais en un seul État, dont le Kosovo.

Pourtant, même si Belgrade refuse de reconnaître l'indépendance du Kosovo, des progrès significatifs ont été réalisés, notamment la conclusion, sous la houlette de Bruxelles, d'un accord considéré comme «historique» portant sur la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina.

M. Rama a aussi appelé au respect des droits de la minorité albanaise du sud de la Serbie, environ 60 000 personnes, qui vivent dans la vallée de Presevo.

Rongée par la pauvreté et le chômage, sciemment négligée par les autorités de Belgrade qui accusent régulièrement les Albanais de visées séparatistes, cette région, qui souhaite s'unir avec le Kosovo voisin, a été le théâtre d'un bref, mais violent conflit armé en 2001.

Après ces échanges âpres sur le Kosovo, Edi Rama a néanmoins déclaré : «Après 100 ans nous avons dans cette région une période de paix (...) nous cherchons désormais la coopération. J'invite (M. Vucic) à se rendre à Tirana».

Avant cette visite, Tirana assurait que M. Rama se rendrait mardi à Presevo, mais Belgrade ne l'a toujours pas confirmé et le déplacement restait incertain après l'incident entre les deux premiers ministres.