Les Turcs élisent dimanche pour la première fois leur président au suffrage universel direct lors d'un scrutin promis au premier ministre Recep Tayyip Erdogan, dont la poursuite du règne jugé autoritaire à la tête du pays inquiète l'opposition.

Sauf surprise, l'homme fort de la Turquie depuis 2003 devrait même l'emporter dès le premier tour et obtenir ainsi carte blanche cinq ans de plus pour poursuive la transformation du pays selon son goût islamo-conservateur, à la barre d'une présidence qu'il a prévu de remodeler entièrement à sa main.

Les bureaux de vote doivent accueillir les quelque 53 millions d'électeurs turcs de 8 h à 17 h locales (1 h à 10 h, heure de Montréal), pour un verdict attendu en soirée.

En cas de victoire, M. Erdogan, 60 ans, rejoindrait dans les livres d'Histoire le père fondateur de la République turque et laïque, Mustafa Kemal Atatürk, au palmarès des dirigeants les plus influents du pays.

Au terme d'une campagne qu'il a écrasée de tout son charisme et de millions d'euros d'affiches et de spots publicitaires, aucun des deux adversaires de M. Erdogan ne semble sérieusement en mesure de lui barrer la route.

Aux harangues enflammées du chef du gouvernement, le candidat des deux partis de l'opposition social-démocrate et nationaliste, Ekmeleddin Ihsanoglu, un historien réputé de 70 ans qui a dirigé l'Organisation de la coopération islamique (OCI), n'a pu opposer qu'une image de grand-père rassurant, mais sans relief.

Quant à celui issu de la minorité kurde, Selahattin Demirtas, un avocat de 41 ans au sourire photogénique, son discours de gauche en faveur des libertés ne devrait pas lui permettre de mordre beaucoup au-delà de cette communauté de 15 millions d'âmes.

Le dernier sondage publié jeudi par l'institut privé Konda a confirmé la tendance en créditant le chef du Parti de la justice et développement (AKP) de 57 % des intentions de vote, loin devant MM. Ihsanoglu (34 %) et Demirtas (9 %).

Très sûr de lui, M. Erdogan a conclu sa tournée électorale triomphale en appelant ses partisans à «exploser les urnes» pour donner une «claque démocratique» à ses rivaux. «Si Dieu le veut, une nouvelle Turquie naîtra demain», a-t-il lancé samedi.

«Dérive autocratique»

Paradoxalement, le triomphe attendu de cet enfant des quartiers modestes d'Istanbul intervient au terme d'une année très difficile.

En juin 2013, des millions de Turcs ont dénoncé dans les rues sa dérive autoritaire et islamiste. Son régime a vacillé, mais il a réussi à étouffer la révolte par une sévère répression qui a sérieusement écorné son image de démocrate.

L'hiver dernier, c'est un scandale de corruption sans précédent qui a éclaboussé M. Erdogan et son entourage. Il s'est défendu en dénonçant un «complot» de son ex-allié islamiste Fethullah Gülen, en purgeant la police et en muselant les réseaux sociaux et la justice, au prix là encore d'une avalanche de critiques.

Même contesté comme jamais, Recep Tayyip Erdogan a remporté haut la main les élections locales de mars et reste de loin l'homme politique le plus populaire dans un pays qu'il a débarrassé de la tutelle de l'armée et dont la majorité religieuse et conservatrice a largement bénéficié de la forte croissance économique.

«Tout le monde sait que les Turcs votent en fonction de ce qu'ils ont dans leurs poches», a résumé à l'AFP Ali Carkoglu, politologue à l'université privée Koç d'Istanbul.

Fort de ce soutien, M. Erdogan, contraint de quitter le poste de premier ministre aux législatives de 2015, est fermement décidé à conserver les rênes de la Turquie depuis la présidence, pourquoi pas jusqu'en 2023, année du centenaire de la République.

Il a déjà prévenu qu'il utiliserait toutes les prérogatives d'une fonction jusque-là plutôt honorifique, avant de réformer la Constitution pour «présidentialiser» le régime.

Un «fantasme», a dénoncé son principal rival Ihsanoglu qui, comme les adversaires de l'AKP et de nombreux observateurs qui dénoncent, comme l'éditorialiste du quotidien Milliyet Ahmet Özer, «le danger de dérive autocratique».

Une menace balayée par le chef du gouvernement, qui a fait sa campagne de «président du peuple» en exaltant la «nouvelle Turquie» de ses partisans contre la «vieille Turquie» de ses critiques de l'élite intellectuelle et laïque, des «ennemis de la Turquie» contre lesquels il a promis d'être «encore plus dur».

«La Turquie s'apprête à entrer dans une nouvelle ère de tension politique et sociale, prise dans une spirale entre régime autoritaire et agitation de l'opposition», a pronostiqué, inquiet, le journaliste Mustafa Akyol dans le quotidien Hürriyet Daily News.