À 88 ans, l'avionneur et milliardaire français Serge Dassault, sénateur de droite et propriétaire du journal Le Figaro, est rattrapé par la justice qui le soupçonne d'avoir utilisé sa fortune pour acheter des voix et assurer ainsi son élection à la tête d'une ville de la région parisienne.

L'industriel, dont le groupe aéronautique commercialise les avions d'affaires Falcon ainsi que le chasseur Rafale, a lui-même demandé la levée de son immunité parlementaire, qui devrait être effective mercredi, devançant une décision qui semblait inéluctable.

Il a expliqué lundi vouloir démontrer qu'il n'a «rien à (se) reprocher».

«Même si cette levée d'immunité provoque mon placement en garde à vue, je suis prêt à affronter cette épreuve», a écrit M. Dassault dans un communiqué. «Je pourrai démontrer ma totale innocence de ces soi-disant achats de votes, accusations inventées de toutes pièces par certains de mes adversaires politiques», a-t-il ajouté.

Deux magistrats du pôle financier de Paris enquêtent depuis de nombreux mois sur une affaire d'achat de votes présumé, corruption et blanchiment lors des élections municipales organisées en 2008, 2009 et 2010 à Corbeil-Essonnes, une ville proche de Paris.

Ces scrutins avaient été remportés par M. Dassault, puis par son bras droit, Jean-Pierre Bechter.

La plus haute juridiction administrative française, le Conseil d'État, avait annulé l'élection de 2008 en tenant pour «établis» des dons d'argent aux électeurs, sans se prononcer sur leur ampleur.

Jean-Pierre Bechter et deux autres personnes ont déjà été inculpés dans cette affaire. Les magistrats enquêteurs ont tenté à plusieurs reprises d'obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'industriel, mais le Sénat s'y était opposé jusqu'à présent.

Le dernier refus de cette assemblée de notables, où la gauche est majoritaire, avait suscité un tollé et un nouveau vote sur la question devait intervenir mercredi à la demande des juges. Le scrutin devait avoir lieu à main levée et non plus à bulletin secret, réduisant presque à néant les chances de M. Dassault, qui a donc préféré prendre les devants en demandant lui-même la levée de son immunité.

L'une des plus grandes fortunes françaises

Né le 4 avril 1925, Serge Dassault fait partie d'une dynastie qui a marqué la vie politique et économique française depuis plus de 60 ans. Il a construit sa carrière dans les pas de son père Marcel Bloch-Dassault, grand avionneur militaire, lui aussi patron de presse et homme politique, ancien déporté et surtout génial ingénieur des Ouragan, Mystère IV et Mirage.

À son décès en 1986, Serge Dassault reprend les commandes du groupe de son père. Diplômé de la grande école d'ingénieurs Polytechnique, il suscite alors des jugements contradictoires sur ses capacités.

Adepte de phrases parfois sibyllines, il est selon certains sagace et rusé et, selon d'autres, naïf et peu diplomate.

La suite l'impose pourtant comme industriel et commercial, courant la planète pour vanter ses avions de combat Mirage et Rafale. Ce qui lui a valu des déboires avec la justice belge : celle-ci l'a condamné en 1998 à deux ans de prison avec sursis pour corruption active de dirigeants socialistes belges dans le cadre d'un marché de modernisation d'avions de combat F-16 de l'armée belge.

Sous sa présidence, le groupe Dassault a développé les avions d'affaires Falcon, venus pallier l'absence de ventes du Rafale à l'exportation. À plus de 75 ans, Serge Dassault avait multiplié les achats de titres de presse pour ne finalement garder que Le Figaro.

Il est sénateur UMP depuis 2004 et est considéré comme l'une des plus grandes fortunes françaises.