Le meurtre d'un jeune homme, imputé à un étranger, a provoqué l'émoi et la fureur dans un quartier de Moscou. Après de violents incidents, les autorités ont mis en oeuvre des opérations policières visant les immigrés.

Cet après-midi, une nappe de brume sinistre recouvre Biriouliovo, vaste banlieue-dortoir située au sud de la capitale russe. Un véhicule de police se gare devant le centre commercial Biriouza dont l'entrée principale a été barrée, stigmate d'un épisode violent survenu il y a quelques jours dans le quartier.

C'est la mort d'un jeune Russe qui a mis le feu aux poudres: Egor, 25 ans, a été poignardé sous les yeux de sa petite amie. Une caméra de surveillance a permis de capturer l'image de l'assaillant, un homme manifestement originaire du Caucase ou d'Asie centrale. Le crime suscite l'embrasement: les habitants du quartier se réunissent pour demander justice et crient leur exaspération à l'égard des immigrés. «La Russie aux Russes!», scandent les protestataires. Le rassemblement vire à l'émeute, sous l'impulsion d'une centaine de personnes identifiées comme des nationalistes radicaux. Après avoir vandalisé le centre commercial, ils prennent pour cible un marché de fruits et légumes où travaillent de nombreux migrants. Les plus furieux se sont ensuite confrontés aux forces de l'ordre, nécessitant l'intervention de renforts de police.

Un ressortissant d'Azerbaïdjan, auteur présumé du meurtre, a été interpellé à Kolomna puis ramené dans des conditions spectaculaires à Moscou, à bord d'un hélicoptère. Mais il en faudra davantage pour dissiper les tensions: cette semaine, la police a découvert le corps d'un Ouzbek d'une cinquantaine d'années tué à coups de couteau.

Originaire de Tachkent, en Ouzbékistan, Fakhriddine tient une épicerie avec sa femme, à deux pas du centre commercial. Il s'inquiète: «Cela fait un moment que les choses se sont dégradées. Mais depuis les émeutes, le regard porté sur nous a particulièrement changé. Nous sommes considérés comme de potentiels délinquants.» Le sentiment de suspicion semble s'être renforcé depuis que la mairie de Moscou a annoncé le lancement de vastes opérations policières visant les travailleurs immigrés. Quelque 1200 personnes ont été interpellées afin que soit vérifiée «leur éventuelle implication dans des crimes».

Un enjeu électoral

«Ils ne cherchent pas à s'intégrer, ils ne respectent pas nos valeurs, et certains parlent à peine le russe», estime Mikhaïl, 26 ans, séduit par Alexeï Navalny lors de l'élection municipale de Moscou. Le candidat de l'opposition avait fait de la lutte contre l'immigration illégale l'une des thématiques centrales de sa campagne. «Dans certains endroits, on ne se sent même plus en Russie, et les gens ne se sentent plus en sécurité.» Une opinion largement répandue dans la population, selon une enquête réalisée l'année dernière par le Centre-Levada: 71% des Russes estiment que les immigrés augmentent le niveau de criminalité. Sans un durcissement de la politique migratoire, la Russie risque «d'autres Biriouliovo», juge Alexeï Navalny, qui soutient l'instauration d'un régime de visas avec les pays d'Asie centrale.

«La criminalité dite ethnique est un mythe, utilisé par les politiques à des fins électoralistes», affirme pour sa part Natalia Zotova, spécialiste de l'immigration d'Asie centrale. À l'approche du scrutin municipal, des défenseurs des droits de l'homme avaient appelé l'intelligentsia du pays à intervenir pour «faire cesser l'hystérie anti-immigrés qui prend chaque jour un peu plus d'ampleur».

L'inaction critiquée

L'exaspération des habitants de Biriouliovo est-elle uniquement dirigée contre la population immigrée? Certains dénoncent la corruption des fonctionnaires qui fermeraient les yeux devant les migrants illégaux; le marché de gros du quartier, qui assure un tiers de l'approvisionnement en fruits et légumes de la capitale, fonctionnerait selon un système des plus obscurs.

Le militant Oleg Orlov, membre de l'ONG Memorial, a publié sur son blogue un témoignage faisant état de ces dysfonctionnements bien avant les récents troubles. «Cet incident est la conséquence de l'extrême faiblesse de la société civile en Russie, qui ne remplit pas sa mission», commente amèrement le défenseur des droits de l'homme. Opposants, militants, personne n'a été capable de forcer les autorités à se saisir de ces problèmes, laissant la population se jeter dans les bras des nationalistes.

Portrait de l'immigration

Selon le Service fédéral de l'immigration, 10 millions de migrants sont enregistrés en Russie. Le chiffre ne comprend pas le nombre d'immigrés clandestins, estimé à 3,3 millions.

Près de 2,3 millions des migrants viennent d'Ouzbékistan.

Au mois de septembre, le centre d'études du nationalisme SOVA recensait 17 personnes tuées et 115 blessées depuis le début de l'année. Des agressions ont été enregistrées dans 28 régions (oblasts) de Russie.