Dans l'affaire «Ruby», du nom de l'ancienne danseuse et présumée maîtresse de Berlusconi, il y a une autre femme: Ilda Boccassini, la Dame de fer de la justice italienne. Celle qui a fait emprisonner de puissants chefs de la mafia rêve maintenant d'en faire autant avec l'ancien premier ministre. Portrait d'une justicière incorruptible.

Ce n'est pas tous les jours qu'un avocat reçoit une lettre de menace de mort accompagnée de deux balles d'arme à feu. Même en Italie, où des magistrats trop zélés ont péri aux mains de la mafia. C'est pourtant ce qui attendait Ilda Boccassini dans sa boîte aux lettres, le matin du 23 mai dernier.

Une semaine plus tôt, la procureure de 63 ans avait prononcé un réquisitoire de six heures contre l'ex-premier ministre SilvioBerlusconi. Soit 60 minutes pour chaque année de prison qu'elle exige comme peine pour son ennemi juré, accusé d'avoir incité une mineure à la prostitution et d'abus de pouvoir.

Depuis l'ouverture du procès, en avril 2011 à Milan, IldaBoccassini tente de démontrer, 136témoins à l'appui, que le Cavaliere avait rémunéré des prestations sexuelles de Karima El Mahroug, alias Ruby, alors qu'elle n'avait que 17 ans. Il aurait aussi usé de son influence auprès de policiers pour qu'ils la relâchent à la suite d'un larcin.

Des sympathisants du vieux Casanova ont cru bon d'asséner un coup de semonce à la procureure.

«Ces dernières semaines, le nombre de missives proférant de réelles menaces contre Boccassini est monté en crescendo», a déclaré le 23 mai le chef de la magistrature à Milan, EdmondoBrutiLiberati.

Traque de la mafia

Certes, «Ilda la rouge», surnommée ainsi pour ses cheveux roux et son caractère bouillant, n'en est pas à une menace de mort près.

Sa vie a été chamboulée lorsque son collègue et mentor Giovanni Falcone, célèbre pionnier de la lutte antimafia, a été assassiné en Sicile en mai 1992.

Alors âgée de 42 ans, mère de deux enfants, elle s'est rendue illico dans l'île pour pourchasser les meurtriers de son ami. Une mission accomplie lorsque le chef de la Cosa Nostra, SalvatoreRiina, a été arrêté en janvier 1993.Elle a ensuite orchestré plusieurs enquêtes déterminantes sur la pègre. «Elle a dirigé une opération de haut calibre de 2003 à 2009, baptisée Crimine-Infinito, qui a entraîné l'inculpation de 300 sbires de la mafia calabraise, 'Ndrangheta», explique le criminologue Federico Varese, de l'Université Oxford.

Les mafieux ont appris à craindre celle qui est fille et petite-fille de magistrats. «Celle-là, c'est une tigresse», avait dit un membre de 'Ndrangheta à un pair dans une conversation téléphonique interceptée.

Même ses collaborateurs ont peur d'elle, croit son ami Nando Della Chiesa.

«Les policiers et les fonctionnaires sous sa responsabilité disent: «Boccassini veut ceci, Boccassini demande cela.» On sent son autorité», a dit à La Presse le professeur en sociologie du crime organisé à l'Université de Milan.

Berlusconi, pire que la mafia

Devant une telle adversaire, Silvio Berlusconi a mobilisé ses journaux afin qu'ils diabolisent «Ilda la rouge».

Il faut dire que le premier affrontement entre les vieux rivaux remonte à 1995, lorsque Berlusconi est soupçonné pour la première fois de corruption. Mais l'ancien premier ministre a toujours réussi à échapper aux griffes de la justice, ce qui a fait dire à Boccassini, d'ordinaire très discrète, que les mafieux étaient plus faciles à épingler parce qu'ils ne pouvaient pas «changer les lois à leur convenance».

Fidèle à elle-même, elle n'a pas plié sous les menaces de mort dans l'affaire «Ruby», dont le verdict sera connu le 24 juin.

«Si elle a peur, elle ne le montre pas», affirme NandoDella Chiesa.