Certains ne dissimulent pas leur colère, d'autres semblent résignés, mais dans leur ensemble, les Serbes du Kosovo estiment avoir été trahis par Belgrade qui a paraphé la veille à Bruxelles avec les dirigeants kosovars, un accord en vue de normaliser les relations entre la Serbie et le Kosovo.

À Kosovska Mitrovica, ville divisée par la rivière Ibar entre Serbes, dans sa partie nord et Kosovars albanais dans sa partie sud, l'annonce de l'accord arraché sous la pression de l'Union européenne était sur toutes les lèvres.

«Belgrade nous a trahis. Mitrovica est un symbole de la résistance serbe et rien ne va changer», s'emporte Marko Dimitrijevic, un pharmacien âgé de 32 ans.

«Je demande à (Ivica) Dacic et à (Aleksandar) Vucic de venir ici s'ils osent et nous dire s'ils n'ont pas honte», a-t-il lancé à l'adresse du premier ministre et du numéro 2 du gouvernement.

Sorti faire ses courses, Slobodan Krstic assure que le nord du Kosovo, région où les Serbes sont majoritaires et qui échappe au contrôle de Pristina, «sera pour toujours une partie de la Serbie».

Cet argument sera le mot d'ordre d'une manifestation de protestation prévue lundi à Mitrovica, selon les autorités locales.

Les dirigeants de Belgrade qui ont paraphé l'accord «seront inscrits dans les livres d'histoire comme des traîtres», s'indigne-t-il.

Cet accord, intervenu 14 ans après la fin du conflit serbo-kosovar (1998-1999) et cinq ans après l'indépendance proclamée par le Kosovo, porte sur le degré d'autonomie accordé aux 40 000 Serbes du nord de ce territoire.

Les 15 points du texte n'ont pas été rendus publics par l'UE, mais selon une version non-officielle publiée par la presse kosovare, les Serbes vont entre autres nommer le chef de la police régionale et auront la gestion des tribunaux là où ils sont majoritaires, tout en «fonctionnant au sein des institutions légales du Kosovo».

Des solutions satisfaisantes pour Belgrade, mais inadmissibles pour les Serbes largement minoritaires du Kosovo, dont les quelque 1,8 million d'habitants sont à 90% Albanais.

En parvenant à cet accord, Belgrade «a reconnu le Kosovo comme un État indépendant et nous pousse sous l'autorité albanaise. Je refuse d'accepter ça», s'exclame Gordana Petkovic, 57 ans.

«Voyons voir s'ils peuvent le mettre en oeuvre leur accord», commente Aleksandra Jakovljevic, une enseignante.

«Ils n'ont pas le droit de nous vendre et de nous dire +désormais vous êtes Kosovars, vous payez vos impôts auprès des institutions du Kosovo, vous allez chercher justice auprès de juges albanais et vous célébrez les fêtes albanaises+», s'insurge cette femme d'une trentaine d'années.

Samedi, le premier ministre kosovar, Hashim Thaçi les a néanmoins encouragés «à ne pas avoir peur de l'accord et des institutions du Kosovo» et leur a promis «de nouvelles opportunités pour des investissements, développement, emplois et la création d'un environnement démocratique et multiethnique».

Contrairement à ceux du nord, les 80 000 Serbes qui vivent dans des enclaves éparpillées sur le reste du territoire kosovar, se sont depuis longtemps résignés et, sans autre choix, ont accepté l'autorité de Pristina.

Néanmoins, eux aussi se sentent trahis et abandonnés par Belgrade.

Dans l'enclave serbe de Gracanica, près de Pristina, sirotant son café, Nikola Stosovic ne dissimule pas sa déception.

«Belgrade a abandonné le nord du Kosovo, tout comme il nous a abandonnés depuis que les Albanais ont déclaré leur indépendance», lâche ce retraité sexagénaire.

Darinka Stojkovic, qui vend des journaux non loin, adopte le même ton pessimiste.

«Désormais, ceux du nord du Kosovo seront obligés de reconnaître l'indépendance du Kosovo, comme nous l'avons fait», dit-elle. «Nous devons nous résigner à l'idée que la Serbie est loin».

Dans les rues de Pristina, auprès des Kosovars albanais, l'accord suscitait l'optimisme et moins de passions.

«Je ne sais pas si cet accord va résoudre toutes les disputes, mais je sais qu'il est mieux d'avoir un accord discutable, voire mauvais, qu'une bonne guerre», commente Nezir Selmani, un retraité.