Plaque commémorative, gerbes de fleurs, lanternes de nuit: la mémoire des morts du naufrage du Costa Concordia a été célébrée avec dignité hier à l'île Giglio. La douleur des familles des victimes était ravivée à la vue de l'épave, véritable cimetière de la mer Méditerranée. Comme les habitants du Giglio, ils n'attendent qu'une chose: que le Costa Concordia disparaisse de leur vie.

«Notre psychiatre nous a dit que ce serait une bonne idée de revoir le bateau.» Il y a exactement un an, Morra Violette et 10 membres de sa famille s'échappaient du Costa Concordia après des heures de panique, éclairés seulement par des phares d'hélicoptères de secours. Grand comme trois terrains de football, le navire de croisière venait de percuter un rocher à quelques dizaines de mètres de l'île toscane du Giglio.

Hantée par cette nuit tragique, la Marseillaise de 65 ans regardait avec émotion hier le paquebot, toujours couché sur son flanc. D'immenses grues surplombent maintenant l'épave, au centre d'une opération inédite dans l'histoire maritime. Pas moins de 430 techniciens travaillent jour et nuit depuis 10 mois pour remettre le bateau à flot et le remorquer loin de l'île au fragile écosystème.

«Cela fait quelque chose de le revoir», dit-elle, les yeux humides.

Hier matin, une cinquantaine de proches des 32 disparus ont assisté au dévoilement d'une plaque commémorative où la collision a eu lieu. Puis, ils ont jeté des gerbes de fleurs à l'eau au son de 32 coups de sirène.

Familles endeuillées et survivants se sont ensuite retrouvés pour une messe spéciale à la minuscule église du port du Giglio, où des centaines de naufragés s'étaient entassés un an plus tôt.

Geneviève Bourgeois cherchait des yeux Kevin Rebello, le frère de Russell, un serveur indien dont le corps est toujours emprisonné dans la carcasse du bateau. «Russell avait été mon serveur toute la semaine avant le naufrage, dit la Française blonde. Il a aidé des tas de gens, dont moi, à monter dans des chaloupes. Je ne l'oublierai jamais.»

De son côté, Nathalie Servel a fondu en larmes alors qu'elle expliquait à La Presse l'héroïsme de son père. «Il a laissé passer les femmes devant lui, dit la Française de 46 ans. Il a attaché un gilet de sauvetage sur sa femme Nicole et a dit: Vas-y, fonce. Elle est inconsolable depuis.»

Il n'y avait pas que de la tristesse sur l'île hier.

Morra Violette s'indignait d'avoir reçu une lettre du groupe Costa, propriétaire du Concordia, la décourageant d'effectuer son pèlerinage. «Ils ont mis nos vies dans les mains de sous-fifres incompétents», s'emporte celle qui participe à un recours collectif contre l'entreprise de croisière.

À commencer par Francesco Schettino, qui brillait par son absence hier. Assigné à résidence depuis l'ouverture d'une enquête, le capitaine déshonoré du Costa Concordia pourrait être inculpé de négligence criminelle dans les prochains mois.

Il s'est plaint la semaine dernière d'avoir été dépeint comme pire qu'Oussama ben Laden pour avoir abandonné le navire, deux fois plus lourd que le Titanic, avant l'évacuation complète des 3200 passagers. Francesco Schettino a toujours soutenu qu'il avait glissé dans une barque de sauvetage, version qu'il compte étayer dans un prochain livre.

Bateau porte-malheur

En filigrane de cette journée de deuil, la peine des 1500 insulaires du Giglio, victimes collatérales du naufrage. Le tourisme, carburant de l'économie locale, a baissé de 40%. «Nos clients réguliers disent qu'ils reviendront une fois que le navire aura disparu», explique Paolo Fanciulli, propriétaire de l'hôtel Bahamas.

Et les résidants ne seront pas tranquilles tant que le Costa Concordia sera échoué à leurs pieds. Ils craignent, entres autres, un désastre écologique insurmontable pour la petite île si le bateau se brise avant son remorquage.

«On veut ravoir notre vie d'avant», résume le maire adjoint Mario Pellegrini, qui a tiré 10 personnes du ventre du géant de mer, le soir fatidique.

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530 MILLIONS

C'est le coût du renflouement du Costa Concordia.

Des ingénieurs, architectes, plongeurs et techniciens originaires de 20 pays prennent part aux quatre phases du projet: solidification et stabilisation de l'épave, construction de plateformes sous-marines pour soutenir le bateau une fois en position verticale, installation d'engins de flottaison sur la coque et redressement du bâtiment à l'aide de câbles.

Le taux de probabilité de réussite de l'opération, qui doit s'achever en septembre prochain, est de 50 % à 70 %.

- Mali Ilse Paquin