Les trois punkettes de Pussy Riot ne se font aucune illusion: d'ici à la fin de la semaine, elles devraient être reconnues coupables de «hooliganisme» pour avoir récité une «prière punk» anti-Poutine dans une cathédrale de Moscou. Elles pourraient ainsi passer les trois prochaines années en détention. Car, dans le système judiciaire russe, être accusé veut dire être automatiquement coupable. Que le procès soit politique ou non.

L'affaire Pussy Riot aura été menée à un rythme d'enfer. Depuis le 30 juillet, la cour siège jusqu'à 10 heures par jour. La défense attribue cette précipitation à la volonté du pouvoir d'en finir avec cette affaire à forte résonance internationale, qui aura attiré aux accusées le soutien de plusieurs vedettes de la chanson, dont Madonna, en spectacle à Moscou hier. La juge Marina Syrova, elle, reste silencieuse sur les raisons de cette course contre la montre.

L'atmosphère était tendue hier au tribunal Khamovniki durant les plaidoyers de l'accusation et de la défense. C'est que si les deux parties s'entendent sur les faits, leur interprétation respective de la «performance» de Maria Aliokhina, Nadejda Tolokonnikova, Ekaterina Samoutsevitch et leurs deux consoeurs - toujours en liberté - à la cathédrale du Christ-Sauveur, le 21 février, diffère radicalement.

D'un côté, les procureurs cherchent par tous les moyens à nier son aspect politique. Selon eux, les cinq filles cherchaient par leur action à déstabiliser l'Église orthodoxe et à offenser tous les croyants. Il s'agissait ainsi d'un acte haineux contre le «groupe social» que constituent les chrétiens orthodoxes. D'où les accusations criminelles. «Le nom de Poutine n'a été utilisé que pour donner l'impression qu'il s'agissait d'un geste politique», a soutenu le procureur Aleksander Nikiforov dans son réquisitoire.

Pour la défense, c'est tout le contraire: la performance était l'expression d'une opinion politique. En aucun cas les membres de Pussy Riot ne voulaient offenser les fidèles. Leur objectif était de dénoncer l'appui public du patriarche de toutes les Russies, Kirill, à la candidature de Vladimir Poutine pour la présidentielle du 4 mars dernier. Et plus globalement, les liens étroits entre l'Église et l'État russe, censé être laïque.

«J'ai l'impression qu'on ne nous écoute pas», s'est plainte Nadejda Tolokonnikova à travers la petite fenêtre de la cage de verre dans laquelle sont séquestrés les présumés criminels dans les salles des tribunaux russes. Considérée comme la leader du groupe, la femme de 22 ans a réitéré la portée exclusivement politique de son geste. Elle a également rappelé ses excuses présentées la semaine précédente aux «victimes», qui disent avoir été profondément offensées et éprouver des problèmes émotifs et de sommeil depuis l'événement.

À l'instar de ses avocats, Tolokonnikova a estimé que ses comparses et elle méritaient d'être innocentées au criminel pour cet acte de «hooliganisme».

Or les chances des membres de Pussy Riot de sortir libres au bout du procès sont à peu près nulles. En Russie, seulement 0,8% des accusés sont reconnus non coupables. «Si on est accusé, on doit tout reconnaître et espérer une peine réduite», a relevé hier l'avocat de la défense Mikhaïl Feïguine dans sa plaidoirie finale. «Il n'y a pas de justice [dans ce pays].»

Les trois jeunes féministes assurent d'ailleurs avoir «subi du chantage» durant l'enquête pour avouer leur «crime» en échange d'un jugement moins sévère. Mais elles ont décidé de se défendre jusqu'au bout.

Selon les membres de Pussy Riot et leurs proches, le Kremlin a voulu faire de ce procès un exemple de la ligne dure qu'il compte adopter contre ses opposants, après un hiver où les manifestations anti-Poutine ont ébranlé le régime. Or, l'appel à la clémence du président la semaine dernière - qui estimait qu'on ne devait «pas les juger trop sévèrement» pour ce geste dans lequel il ne voyait toutefois «rien de bon» - ne semble pas avoir changé le cours du procès. À moins qu'il ait poussé les procureurs à n'exiger que trois années de prison pour les membres de Pussy Riot comme ils l'ont fait hier, au lieu des sept maximales prévues par la loi.