Les recherches ont repris jeudi de bonne heure dans l'épave du Concordia, échoué sur la petite île italienne du Giglio, où les membres des familles des disparus attendent dans l'angoisse et la colère contre le commandant du navire, assigné à résidence.

«Il est chez lui maintenant, parce qu'il vit en Italie. Dans un autre pays (...) il serait en prison et il passerait un sale quart d'heure, il ne serait pas en train de prendre un café avec sa maman», s'insurge devant l'AFP Kevin Rebello, frère d'un membre d'équipage de nationalité indienne toujours porté disparu.

Commander un paquebot de croisière, «c'est pas Disneyland, vous jouez avec la vie des gens. Je suis très en colère», dit Kevin Rebello, venu de Milan -où il travaille- pour retrouver la trace de son frère Russel, marié et père d'une fillette de trois ans et demi et dont toute la famille attend des nouvelles dans l'angoisse à Bombay.

D'autres familles, réfugiées dans un hôtel d'Orbetello, en terre toscane tout près du Giglio, redoutent elles aussi le pire, soutenues par des équipes de psychologues. Certaines d'entre elles, rescapées de la catastrophe, doivent aussi surmonter le traumatisme et le sentiment de culpabilité d'avoir réussi à s'en sortir.

Le bilan du sinistre s'établit pour le moment à onze morts, dont six ont été formellement identifiés: deux touristes français, un Italien, un Espagnol, et deux membres d'équipage, un Péruvien et un Hongrois, qui était violoniste à bord.

Quelque 26 personnes manquent en outre à l'appel depuis désormais presque six jours, mais parmi elles figurent sans doute les victimes dont les corps n'ont pas été identifiés.

Après avoir été interrompues presque toute la journée de mercredi, pour des raisons de sécurité en raison d'un léger déplacement de l'énorme bateau échoué tout près de l'île, les recherches ont pu reprendre jeudi.

«Les tests réalisés durant la nuit ont été positifs et nous avons d'ores et déjà des plongeurs en action», a déclaré à l'AFP en tout début de matinée un porte-parole des garde-côtes, Filippo Marini.

«Nous allons utiliser des micro-explosifs pour ouvrir davantage de voies d'accès. Les plongeurs vont entrer à l'intérieur du navire et chercher d'autres survivants», a-t-il ajouté.

Leur travail est très difficile: des parties du bateau sont obstruées par des portes verrouillées, des monceaux de meubles ou des lambeaux de moquette. Ils doivent en outre franchir des couloirs transformés en véritables puits.

«Anges philippins»

Parallèlement aux recherches, le pompage du carburant du navire (2380 tonnes de mazout) pourrait démarrer jeudi afin d'éviter une marée noire sur l'île, une réserve naturelle d'une grande valeur écologique.

Cette opération, qui pourrait durer quelques semaines, est très compliquée, car il faut notamment réchauffer le mazout pour le rendre plus liquide.

Les réservoirs du Concordia étaient quasiment pleins vendredi vers 21h30 (15h30, heure de Montréal) quand il a heurté un rocher à moins de 500 mètres de l'île, deux heures et demie seulement après avoir amorcé une croisière en Méditerranée à partir de Civitavecchia, au nord de Rome.

Jeudi, de nouvelles informations continuaient d'accabler le commandant du navire, Francesco Schettino, accusé d'homicides multiples par imprudence, naufrage et abandon de navire, et qui est actuellement reclus à son domicile à Meta di Sorrento, au sud de Naples, sur la Côte amalfitaine.

Selon la poursuite, le commandant «après avoir abandonné le navire, est resté immobile sur la côte rocheuse du Giglio et a regardé (le navire) en train de couler». L'accusation s'appuie sur cinq principaux témoignages contre lui, notamment ceux des officiers de bord.

Ces derniers ont raconté aux magistrats la décision de Francesco Schettino de changer de route pour se rapprocher de l'île du Giglio, «une manoeuvre gravement imprudente et inconsidérée», dénonce la juge Valerio Montesarchio, dans l'acte officiel assignant le commandant à domicile.

Dans ce document, elle reproche aussi au commandant sa «personnalité négative», sa «conduite gravement coupable, responsable d'un désastre de proportions mondiales», et surtout son «incroyable légèreté dans son évaluation de la situation aux dépens des plus de 4000 personnes sous sa responsabilité».

«Le commandant a sous-évalué la portée du dommage subi et a omis d'aviser en temps et en heure les garde-côtes de l'incident, retardant les procédures d'urgence et de secours», a-t-elle souligné.

Lors de son interrogatoire, le commandant Schettino s'est pourtant targué d'être un «bon commandant». Même si, selon la presse, il a déclaré samedi, quelques heures après la catastrophe, aux carabiniers d'Orbetello: «Je vais changer de vie, je ne veux plus mettre les pieds sur un navire».

La compagnie italienne Costa, propriétaire du navire Concordia, a annoncé jeudi matin avoir contacté «tous les passagers impliqués (...) pour s'assurer de leur bon retour et de leur état de santé».

Costa leur a notamment «confirmé le remboursement de la croisière et de toutes les dépenses matérielles liées à celle-ci».

Dans son communiqué, «Costa réaffirme en outre le dialogue avec tous ses passagers et avec toutes les associations protégeant les intérêts des consommateurs (...) pour déterminer les dédommagements relatifs aux désagréments subis».

Plus de 70 passagers du Costa Concordia ont d'ores et déjà adhéré à une action collective contre la compagnie lancée par l'association italienne de défense des consommateurs, avec pour objectif d'obtenir à chaque passager une indemnisation d'au moins 10 000 euros (13 000 $).

Des plaintes contre la compagnie ont par ailleurs été déposées en France, où un collectif de victimes est également en cours de constitution.

Costa a aussi «renouvelé ses condoléances aux victimes et sa proximité avec leurs proches», alors que la polémique enfle sur l'impéritie criante de l'encadrement du bateau lors des opérations d'évacuation.

Selon de nouveaux témoignages, nombre de passagers convoqués par haut-parleur sur le pont pour être évacués se sont retrouvés sans gilets de sauvetage et ont dû retourner au péril de leur vie en chercher dans leur cabine.

En outre, nombre de chaloupes surchargées n'ont pu être manoeuvrées que grâce à l'aide de serveurs ou de cuisiniers -des «anges philippins» disent certains survivants- transformés en marins improvisés.

À Meta di Sorrento, une ville de 7000 habitants dont l'activité est très liée au monde de la mer, la population locale s'est en revanche resserrée autour de son concitoyen afin qu'il ne soit pas mis au pilori avant d'être jugé.

«Tous les navires de croisière comptent à leur bord un membre d'équipage originaire du Sorrento. Il est absurde de stigmatiser une catégorie qui s'est toujours distinguée par sa compétence», a dénoncé une association d'anciens officiers basée sur place.