Le plus grand centre commercial d'Europe a élu domicile hier dans l'est de Londres, le quartier olympique. Au moment où les ventes de détail sont en baisse, la capitale a-t-elle hérité d'un éléphant blanc?

«Ils ont copié les centres commerciaux de Dubaï.» Hassan Abdi et sa femme Semra avaient une impression de déjà vu à l'ouverture du plus grand centre commercial d'Europe, Westfield Stratford City.

Avec ses 180 kilomètres carrés de commerces, dont trois hôtels et un casino, il ressemble en tout point aux oasis climatisées prisées par les émirs.

Mais le groupe australien Westfield a choisi l'Est de Londres, historiquement défavorisé, pour son projet de 2,4 milliards de dollars canadiens.

Les Canadiens ont intérêt à ce que l'aventure soit profitable: l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada a racheté 50% des parts de Stratford City, conjointement avec un fonds de retraite néerlandais.

Son emplacement est un coup de maître: aux portes du Parc olympique de Londres. Pas moins de 70% des visiteurs des Jeux de 2012 devront traverser un de ses couloirs commerciaux pour accéder au stade.

Baisse de la consommation

Il reste que son inauguration coïncide avec de mauvaises nouvelles pour les commerçants britanniques: les ventes de détail ont baissé de 2,2% au mois d'août, plombées par les émeutes et par le pessimisme des consommateurs.

Les grandes surfaces résistent cependant mieux à une baisse de la consommation domestique, a confirmé récemment la firme de recherche Local Data Company.

Et le porte-parole de Westfield, John Burton, a rappelé cette semaine qu'un autre centre Westfield dans l'ouest de Londres avait ouvert ses portes en pleine crise économique en octobre 2008. «Il affiche une croissance de 20% par année et je crois sincèrement que le centre de Stratford fera aussi bien», a-t-il dit au Financial Times.

Les dizaines de milliers de clients, surtout des jeunes femmes, qui ont envahi le centre avec des cris de joie hier semblaient lui donner raison.

«Beaucoup de nos magasins locaux ont fermé depuis deux ans, dit Simi Patel, une jeune femme voilée. Il nous manquait un centre comme Westfield.»

Le flamboyant maire Boris Johnson a promis sous les confettis que Westfield Stratford City fera l'envie des Parisiens. La Ville de Londres fait pression depuis plusieurs années sur Eurostar pour que son train en provenance de Paris s'arrête à Stratford.

Pour l'heure, quatre millions de Londoniens habitent seulement à 45 minutes grâce à l'amélioration des infrastructures de transport.

Embourgeoisement

Des petits commerçants du voisinage sont cependant inquiets. En particulier ceux du vieux centre commercial de Stratford, situé à un jet de pierre de Westfield.

«Je ne vois pas comment nous pourrons survivre à long terme, dit Lorraine McNeill, gérante d'un magasin de vêtements à bas prix. Nos ventes sont très mauvaises aujourd'hui. Comment pouvons-nous faire concurrence à Primark et H&M?»

L'économiste Paul Cheshire est également sceptique face à la régénération promise à la population locale. «Éventuellement, il y aura un remue-ménage. Les loyers augmenteront et les gens et les entreprises seront forcés de déménager», dit le professeur de la London School of Economics en entrevue téléphonique.

C'est malgré tout une bonne nouvelle pour Londres, croit-il, où la majorité des locaux commerciaux datent d'avant la Seconde Guerre mondiale.