À Kiev, à l'Épiphanie, chacun peut se laver de ses péchés, l'eau et l'atmosphère sont glaciales pour tous : mais si la plupart n'ont accès qu'aux plages publiques, d'autres concluent leur bain par des toasts à la vodka dans un club de chasse cossu.

Comme chaque 19 janvier, des milliers d'Ukrainiens orthodoxes ont bravé des températures largement négatives (-10°C à Kiev) pour célébrer le baptême du Christ dans le Jourdain en s'immergeant par trois fois dans l'eau, qui ce jour-là est considérée comme sacrée. La capitale ukrainienne est bien pourvue en lieux de baignade et des centaines de personnes ont afflué vers les plages couvertes de neige qui bordent le puissant fleuve qu'est le Dniepr, à un jet de pierre du centre-ville.

Tournant le dos au parc aquatique et à son toboggan blanchi de neige, des dizaines de personnes emmitouflées se fraient un chemin hors de la cohue du métro et se pressent autour d'une petite église moderne.

Des hauts-parleurs diffusent de la musique populaire, un homme gesticule en brandissant des paquets de cierges jaunes, des stands proposent des grillades bon marché. L'atmosphère est à mi-chemin entre la fête foraine et le recueillement.

La plupart sont venus non pas pour se baigner, mais pour chercher de l'eau bénite. Des dizaines de babouckhas bardées de récipients en plastique assaillent un pope malicieux qui asperge d'eau glacée leurs visages et leurs précieuses bouteilles.

Quant aux baigneurs, ils se contentent généralement de quelques secondes dans l'eau avant de sortir en courant, l'air épanoui, et de se frictionner hardiment. Tomber malade est hors de question.

«C'est un jour de grâce aujourd'hui», assure le père Evgueni. «C'est garanti à 100%, les gens deviennent plus robustes et ne tombent jamais malades», assure-t-il, debout en grande tenue dorée devant le trou en forme de croix creusé dans la glace d'un paisible étang à l'écart de la plage.

Et d'en appeler curieusement à la science: «plus il fait froid dehors, plus l'eau est chaude, c'est de la physique», note-t-il.

Mais, la foi et les frissons mis à part, les fidèles dont il s'occupe n'ont que peu de choses en commun avec la foule populaire de la plage : beaucoup sont des «VIP», militaires, hauts responsables de la police. Le luxueux cabanon au bord du lac d'un club privé de chasse et de pêche, qui sert de refuge aux nageurs transis, est entouré de 4X4 onéreux.

Les popes espèrent une seconde reconnaître celui du célèbre boxeur poids lourds Vitali Klitschko, mais doivent vite s'avouer déçus.

Alexandre Petrenko, en sous-vêtements, agripe la petite échelle insérée dans la glace et plonge, tandis que trois popes entonnent d'une profonde voix de basse des chants religieux devant l'icône de Saint Valeri, posée sur une chaise à même la glace. «L'eau est comme le feu ! C'est formidable, j'invite tout le monde à faire pareil», dit-il en ressortant, rayonnant.

«C'était excellent. On se sent toujours bien avec Dieu», confirme Iouri Martinenko, un responsable du ministère de l'Intérieur, lorsqu'il émerge à son tour.

La cérémonie se termine sur un banquet gargantuesque dans le douillet cabanon décoré de peaux de loups et d'armes de toutes sortes. Les toasts à la vodka se succèdent, pour la plupart à la gloire de Mikhaïl, dont c'est le 44e anniversaire. Leur effet est décuplé par les chants des six ou sept popes assis autour de la table. «C'est un grand honneur d'être né le jour d'une fête religieuse», le félicite l'un des convives.