Le 4 mai 1979, Margaret Thatcher devenait la première femme premier ministre de Grande-Bretagne. Trente ans plus tard, le parti conservateur apparaît bien placé pour bientôt revenir au pouvoir, mais reste confronté à un dilemme : revendiquer ou renier son héritage.

Il y a trente ans lundi, pour son entrée en fonctions, Margaret Thatcher, plus tard surnommée la «Dame de Fer», avait cité Saint François d'Assise sur le seuil du 10 Downing Street : «Là où est la discorde, que je mette l'union». Mais loin d'unir la nation, elle a profondément divisé les Britanniques par ses réformes radicales. À tel point qu'aujourd'hui, son successeur à la tête du parti conservateur David Cameron, favori dans les sondages pour devenir le prochain premier ministre d'ici juin 2010, hésite à s'en réclamer.

«Je ne pense pas qu'il y ait un consensus sur Thatcher, je pense que c'est une personnalité très encombrante pour les classes moyennes anglaises parce que les gens la trouvent particulièrement déplaisante et (jugent) son action traumatisante», explique Richard Vinen, professeur au King's College de Londres.

«Il y a un fort élément de culpabilité à son sujet. Beaucoup de gens voulaient faire ce qu'elle a fait, mais sans en prendre eux-mêmes la responsabilité», ajoute M. Vinen, auteur d'un livre récent «La Grande-Bretagne de Thatcher».

Qu'ont donc changé pour la Grande-Bretagne ses onze années au pouvoir? Mme Thatcher aurait répondu elle-même il y a quelques années, avec son goût coutumier de la provocation: «Tout».

Le «thatchérisme» a été caractérisé par la baisse des impôts, la privatisation de pans entiers de l'économie (télécommunications, transports...) et la mise au pas des syndicats.

Mais certains Britanniques déplorent le manque de compassion de Mme Thatcher, son attachement à un strict individualisme économique, et ne peuvent oublier son fameux adage : «La société, ça n'existe pas».

En prenant la tête du parti en 2005, M. Cameron a cherché à débarrasser le conservatisme de ses idéaux les plus controversés, et à en libéraliser l'image en soutenant le mariage homosexuel ou en plaçant l'écologie au coeur de son message.

Quand il parle de Mme Thatcher, qui souffre de démence depuis sept ans et, à 83 ans, ne parle plus en public sans l'accord de ses médecins, M. Cameron semble toujours ambivalent.

«Je dirais que j'essaie de retenir les leçons de son succès et de les appliquer aujourd'hui», a-t-il déclaré en début d'année à la BBC. «C'était un message résolument modernisateur, tourné vers l'avenir, et nous devons faire la même chose dans des circonstances très différentes.»

Paradoxalement, le premier ministre travailliste Gordon Brown paraît plus à son aise avec le legs Thatcher. En 2007, il avait salué en elle une «femme politique de conviction».

L'influence de Mme Thatcher sur les travaillistes n'est pas nouvelle. Le New Labour, le parti travailliste recentré de Tony Blair et Gordon Brown arrivé au pouvoir en 1997, a fait de la dérégulation et de la baisse des impôts des valeurs clés.

La crise financière récente, cependant, semble avoir remis d'actualité les anciennes lignes de fracture, qui prévalaient dans les années 1970.

Confronté avec la crise à la dérive des finances publiques, M. Brown a annoncé récemment que la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu serait relevée à 50% en 2011, ce qui lui a valu d'être accusé de recourir aux vieux remèdes.

À contrario, côté conservateur, «l'austérité» est redevenue le leitmotiv, à l'image de la politique de contraction budgétaire de Mme Thatcher dans les années 80.

«Les deux partis se réapproprient un passé qu'ils pensaient avoir laissé derrière eux il y a bien longtemps», notait cette semaine Philip Stephens, éditorialiste du Financial Times.